Labour / Le Travail
Issue 83 (2019)

Research Note / Note de recherche

Le travail gestionnaire comme psychopolitique au service de la transformation sociale du Québec : une étude du journal Les Affaires, 1928–1933

Anne Pezet

Harry Braverman1 retrace l’évolution du monde des bureaux depuis le 18e siècle et constate le déplacement d’une conception professionnelle de cette catégorie d’employés, considérés comme « bras droits » du patron, à une conception beaucoup moins prestigieuse, celle de l’employé moderne, mal payé et interchangeable. L’industrialisation du monde et sa forme plus particulière de capitalisme monopoliste font que « … les fonctions actives du capitaliste […] sont prises en charge […] par le travail d’un grand nombre de personnes »2. Braverman décrit ainsi le « vaste empire de papier qui, sous le capitalisme, devient aussi réel que le monde physique et qui accapare toujours plus de travail … Avec la croissance rapide des bureaux et la transformation du travail de bureau, de simple auxiliaire de la direction qu’il était en un processus de travail en soi, on [commence] à ressentir le besoin de le systématiser et de le contrôler3. » Ce qu’accomplit le peuple des bureaux devient un travail au même titre que ce qu’accomplit la classe ouvrière. Braverman redéfinit par ailleurs le contour des classes comme un « processus dynamique dont la marque est la transformation de secteurs de la population », notant que, si la classe ouvrière est dépossédée des moyens de travail, cela devient le cas de « presque toute la population »4. C’est sur ces prémisses que la notion de travail gestionnaire peut être élaborée.

En effet, si l’analyse de Braverman semble au premier abord concerner la strate inférieure des employés de bureau5, elle est une réflexion approfondie sur le travail d’organisation et ses méthodes – en particulier la taylorisation rapide des bureaux6 –, qui permet d’envisager une continuité entre les différentes couches hiérarchiques, justement au travers de la notion de travail. « Le mode de production capitaliste conquiert et détruit toutes les autres formes d’organisation du travail7. » Et cela est vrai dans l’atelier comme dans les bureaux. Ce phénomène s’inscrit dans la longue durée. Aujourd’hui, la « managérialisation » de la société8 a placé le travail gestionnaire au cœur de toutes les activités, à la fois économiques et non économiques. De l’entreprise à l’État, en passant par les hôpitaux ou les associations, ces activités fonctionnent « grâce » au travail gestionnaire peu importe qui l’accomplit. L’intérêt de la notion est de montrer comment le management irrigue l’ensemble de nos sociétés non pas parce qu’il serait une idéologie portée par une caste de dirigeants et de gestionnaires, mais parce que tous sont soumis à un même type de travail qui combine un ensemble de techniques et d’habiletés ancrées dans des principes simples, le tout revêtant une apparente neutralité. Les techniques sont essentiellement inspirées du taylorisme; elles constituent la part matérielle du travail. Les habiletés sont issues de la psychologie industrielle; elles constituent le travail sur soi. Les principes sont une opérationnalisation de la modernité dans laquelle le monde est entré depuis la révolution industrielle : rationalité, efficacité et progrès.

Les travaux sur les cols blancs ou sur les employés sont certes nombreux9, mais ils ne portent que sur la formation d’un groupe professionnel et de son identité. Les différentes perspectives des disciplines ne permettent pas de dégager clairement les caractéristiques du travail du gestionnaire. Ce dernier est le fait d’une vaste nébuleuse aux contours flous et aux terminologies diverses : cols blancs, classes moyennes salariées, secteur tertiaire, directeurs, cadres, employés, etc.10. Plutôt que de chercher à cartographier le monde des bureaux en multipliant les catégories, nous prenons ici le parti de chercher ce qui les réunit. Le qualificatif « gestionnaire » servira ainsi à nommer le travail de l’ensemble de ces catégories, de l’employé au patron. C’est en effet le travail de gestion, dénominateur commun à ces catégories, qui permet de comprendre l’emprise du management sur la société. C’est ce travail que nous entreprenons de caractériser plus loin dans le présent article au travers de certaines habiletés, techniques, cognitives et surtout psychologiques.

Contrairement au travail ouvrier, le travail gestionnaire n’a attiré que peu d’attention de la part des chercheurs. Pourtant, si l’ouvrier a été la figure émergente du 19e siècle, le gestionnaire (ou manager) est bien celle qui émerge au 20e siècle. Les raisons qui expliquent cette discrétion sont sans doute nombreuses, mais deux d’entre elles ressortent plus particulièrement. La première raison est politique : la classe ouvrière suscite un intérêt au-delà de ses spécificités technico-économiques ou sociales tant elle intervient, de manière visible, dans le champ politique, non seulement au travers des syndicats, mais aussi au travers des partis politiques. Les gestionnaires, de par leur allégeance supposée au patronat, ne jouent pas un tel rôle même s’il ne faut pas sous-estimer les effets sociaux et politiques de l’expansion du management au 20e siècle11. La seconde raison est que la catégorie elle-même est difficile à cerner, comme nous l’avons vu précédemment. C’est pourquoi, l’option retenue dans le présent article est de reconfigurer les catégories usuelles autour de la notion de travail. Contrairement au travail ouvrier, le travail gestionnaire est non seulement essentiellement immatériel, mais aussi très diversifié : il s’étend à tous les niveaux hiérarchiques des organisations, elles-mêmes variées, des employés aux cadres de direction. À cet égard, le travail gestionnaire s’inscrit dans l’ordre du discours bien plus que dans l’ordre de la technique objective. C’est pourquoi analyser le contenu du journal Les Affaires se révèle une démarche pertinente. Au Québec, c’est le médium qui porte ce discours (voir infra la section méthodologique).

Le journal Les Affaires est lancé en février 1928 à Montréal. Influencé par l’idéologie en vogue qu’est le mouvement de rationalisation taylorienne, le journal aborde les résistances à l’œuvre dans la société québécoise contre ce mouvement et promeut des transformations substantielles qui passent par une caractérisation poussée du travail gestionnaire. Mais, les articles s’adressent aux différentes strates de cette nébuleuse, du chef d’entreprise à l’employé et, au-delà, à l’ensemble de la société : agriculteurs, parents de jeunes gens à éduquer, responsables politiques, etc. Le discours véhiculé dans Les Affaires vise la transformation des mentalités en légitimant une forme de travail permettant de rendre la société efficace et compétitive. Nous ne chercherons pas à montrer ici que le journal réussit à transformer les pratiques organisationnelles. Ce n’est pas cette causalité qui nous intéresse, mais plutôt l’exposition d’un type de travail qui est de nature à supporter l’expansion capitaliste dans un univers traditionnel. Passer par la médiation du travail permet de neutraliser la portée idéologique du discours capitaliste et de rejoindre concrètement des couches variées de la population. Qui peut contester des méthodes de travail qui visent à rendre la société plus rationnelle, plus efficace et en quête de progrès?

C’est pourquoi, cette exposition des méthodes s’appuie en permanence sur l’identification des résistances potentielles à ces changements bien au-delà de la sphère entrepreneuriale et des valeurs associées qui sont systématiquement discréditées. Le Québec, en effet, n’est pas perçu par Les Affaires comme un terreau fertile pour les idées nouvelles. Le journal expose avec sévérité les résistances potentielles de la société, résistances dont il faut chercher la cause dans l’appartenance à la « race » canadienne-française :

Les Canadiens français, par atavisme et par ataraxie, se désintéressent malheureusement trop de tout ce qui pourrait être de nature à les sortir de l’ornière dans laquelle ils sont enlisés, ils regardent les innovateurs, les animateurs, les réalisateurs avec méfiance12.

Ce jugement sans appel est suivi d’un double constat. Le Québec accuse un retard important au sein d’un monde économique qui s’inspire de plus en plus des méthodes américaines :

Dans plusieurs des branches, des plus importantes industries, on est encore en retard, dans la pratique de l’atelier : de 20 à 30 [ans] sur ce qu’on pourrait appeler l’organisation moderne13.

Souffrons-nous d’incapacité organique ou d’incompétence en affaires? […] Nous sommes forcés de faire une constatation désagréable : c’est que malgré les travers qui nous froissent chez les Américains, ce sont leurs méthodes d’affaires qui font loi et qui aujourd’hui sont graduellement acceptées comme « standard » dans tous les pays du monde14.

Finalement, c’est bien l’ensemble de la société canadienne-française qui doit se transformer comme le proclame l’éditorial du premier numéro :

Soyons d’abord pratiques. Soyons utilitaristes. Soyons aussi opportunistes. Notre ambiance le demande, notre avenir aussi. Éliminons le superflu : c’est la règle de l’efficience qui fera des Français d’Amérique la race la mieux balancée de la terre15.

Compte tenu de la radicalité du changement souhaité et des résistances perçues dans la société, ce qui est en jeu est non seulement le recrutement et la formation des talents comme le suggère Braverman, mais encore la légitimation du capital sous sa « forme institutionnelle » 16. Afin de mieux comprendre ce phénomène, l’analyse macrosociale peut être couplée à une analyse plus micropolitique17. Pour reprendre le terme de Cohen18, c’est une « psycho-politique » qui est en émergence ici, c’est-à-dire un processus qui agit sur les traits psychologiques des individus, plus qu’une biopolitique qui concerne, selon Michel Foucault, le gouvernement des vivants au sein d’une population. Ce processus est soutenu du point de vue théorique : une partie de la psychologie américaine a suivi le virage imprimé à la jeune discipline, à l’aube du 20e siècle, par Hugo Münsterberg qui veut la mettre au service du commerce et de l’industrie en produisant « the best possible man », « the best possible work » et « the best possible result »19. Comme le formulera plus tard Herbert Marcuse, l’humain est « continuellement au travail et en travail »20. Le tournant prescrit par le journal Les Affaires s’inscrit implicitement dans cette veine. La production d’un homme nouveau au travers de son travail en vue d’un résultat, la transformation sociale, est bien au cœur du projet du mensuel lancé par Raoul Renault. Ainsi le travail gestionnaire apparait moins comme un ensemble de techniques matérielles que comme un ensemble de techniques de soi en cohérence avec les trois piliers que sont la rationalité, l’efficacité et le progrès. Son apparence de neutralité vole ainsi en éclats, et le projet se dévoile : les individus sont amenés à mettre leurs nouveaux talents au service du capital représenté désormais par la grande entreprise21.

Les Affaires : nature de la source et méthodologie

Les Affaires n’est pas le premier journal à s’adresser aux gens d’affaires canadiens-français. Par exemple, Louis-Edmond Thomson et Ulric Barthe avaient fondé, dès 1894, La semaine commerciale dont l’objectif était de fournir un « recueil d’informations que tous les hommes d’affaires de la cité et du district [pourraient] consulter avec profit et avec certitude de ne pas être induits en erreur »22. Mais, l’hebdomadaire s’adresse explicitement aux gens de Québec et est favorable aux intérêts des commerçants locaux. Il y est même précisé que Montréal a les moyens d’avoir ses propres publications. D’autres journaux existent en effet, mais, outre qu’ils sont souvent locaux, leur ambition est plus informative qu’éducative23. Comparativement aux autres journaux, le périodique Les Affaires adopte une ligne éditoriale radicalement nouvelle. Le journal Les Affaires a un dessein plus vaste que l’information pure : il vise à éduquer son lectorat au travail gestionnaire rationnel, efficace et voué au progrès. Ainsi, le journal a pour but d’accroitre les connaissances en matière d’affaires des Canadiens français considérés comme moins informés et, surtout, comme moins éduqués que les anglophones. Le contenu est ainsi destiné à la diffusion des techniques administratives les plus récentes et les plus efficaces. La période de démarrage du journal (19281933), sous la direction de son fondateur, est, de ce point de vue, cruciale. Elle se situe à un moment clé dans la diffusion des idées nouvelles sur l’organisation du travail comme nous le verrons plus loin.

Ce qui fait aussi l’intérêt du journal, c’est qu’il reste souvent flou quant au public auquel il s’adresse. Le dépouillement systématique de l’ensemble des articles ne révèle pas l’existence d’une cible spécifique, mais plutôt celle d’un spectre étendu de cibles, que l’on peut définir au minimum comme le monde du commerce et des bureaux. Le journal se donne pour mission de faire connaître non seulement aux dirigeants, mais aussi aux employés, aux commerçants, aux jeunes hommes en quête d’une carrière et même aux agriculteurs, les idées et méthodes de gestion nouvelles. Nous montrerons que le dénominateur commun à ces articles réside moins dans une catégorie particulière de lectorat que dans la doctrine contenue dans la définition du travail gestionnaire. Ces articles portant sur le travail gestionnaire s’adressent finalement à l’ensemble de la société canadienne-française et ont pour but d’engager celle-ci sur la voie de la modernisation industrielle et gestionnaire, soit le « capitalisme institutionnel » de Braverman, et ce, en agissant comme une psychopolitique.

Le fondateur du journal, Raoul Renault, est un immigrant français installé à Québec. On peut le définir comme un entrepreneur dans le domaine alors en plein essor de la publicité. Directeur de l’Office québécois de la publicité, il fonde, en 1924, Le Guide de l’acheteur, destiné à servir de source d’information pour les consommateurs, puis, en 1928, La Clé d’or/The Golden Key, périodique spécialisé dans la publicité. Ce dernier journal disparait en 1928 et est remplacé par le journal Les Affaires24. Raoul Renault le dirigera de février 1928 à juin 1933. C’est à cette période que nous limiterons l’analyse ici présentée. Ce choix se justifie pour deux raisons : d’abord, parce que cette période est marquée par la présence du fondateur qui va constamment rappeler la philosophie première du journal; ensuite, comme nous le verrons plus bas, parce qu’elle correspond à un contexte marqué par la fin d’une phase de fort développement économique au Québec, par l’apogée d’une pensée de la rationalisation industrielle et par la survenance de la crise.

D’un point de vue méthodologique, le choix d’un journal comme Les Affaires trouve sa pertinence dans la place particulière que joue l’imprimé au Québec. La « culture de l’imprimé » se déploie en cohérence avec les « stratégies du capitalisme, [les] avancées technologiques et [les] façons nouvelles d’administrer les entreprises »25. L’imprimé est le moyen par excellence pour créer des « communautés translocales » 26 autour d’un contenu informationnel et éducatif, et ce, plus particulièrement quand les individus ou les groupes sont géographiquement dispersés comme c’est le cas au Québec. Dans son ouvrage Magazines and the Making of America : Modernization, Community, and Print Culture, Haveman distingue le magazine des autres types d’imprimés en fonction de cinq critères : le magazine offre un contenu plus varié que la presse en termes d’intérêts sociaux et culturels et permet ainsi de s’intéresser à des sujets au-delà de ce qui fait l’actualité; le magazine a une durée de vie plus longue que celle du quotidien, et les éditeurs proposent même des index, des classeurs pour conserver la collection complète; son lectorat est plus vaste que celui des journaux : il s’étend au-delà d’une seule ville ou région; le magazine est un vecteur d’interprétations, parfois en opposition, plus qu’un vecteur de présentation des faits; et enfin, le magazine permet d’engager des interactions plus suivies avec les lecteurs du fait d’intérêts partagés27. Autrement dit : « Magazines are central to modernization and community […] Magazines can be both instruments of social change and tools of social control that reinforce the status quo28. »

En outre, le choix du Québec est intéressant non pas parce qu’il représenterait une société traditionnelle emblématique29, mais, au contraire, parce qu’il est une sorte de laboratoire pour l’étude d’un phénomène qui a touché toutes les sociétés. L’industrialisation aux États-Unis a aussi connu de fortes résistances de la part des commerçants et des petits producteurs pour lesquels la grande entreprise et ses armées de gestionnaires signifiaient une perte d’autonomie radicale30. Le mouvement de rationalisation a rencontré des résistances, en particulier sur le plan syndical. Toutefois, le cas du Québec n’est pas isolé, bien au contraire. C’est d’ailleurs en cela que l’analyse du journal Les Affaires est pertinente non seulement pour l’étude de l’histoire de la province, mais aussi pour l’ensemble des sociétés touchées par le phénomène gestionnaire au 20e siècle.

Entre février1928 et juin1933, Les Affaires parait mensuellement. Chaque numéro compte une quarantaine de pages. Au total, on aura donc étudié plus de 2 000 pages. La méthode a consisté, au cours d’un dépouillement exhaustif de la collection31, à repérer les articles qui ont trait à l’administration, à l’organisation, aux méthodes de management, mais aussi aux qualités qui font l’homme nouveau32. La période (19281933) peut sembler courte, mais ce choix est justifié pour plusieurs raisons. La première est le volume d’articles analysés lors de cette recherche : au total, plus de 600 pièces (articles, vignettes, etc.) passées en revue, dont 320 concernant l’administration, retenues pour analyse.

La deuxième raison est la diversité des articles analysés : sur ces 320 pièces, près de 60 p. cent sont écrites spécialement pour Les Affaires. Le reste provient en grande partie de journaux de même type publiés en Europe et aux États-Unis. Le journal présente ainsi en condensé un panorama quasi mondial et très représentatif de l’évolution des idées gestionnaires ailleurs qu’au Québec. Raoul Renault précise ainsi dans un éditorial paru en février 1932 : « Nous recevons et dépouillons régulièrement une soixantaine de revues techniques […] publiées au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en France, en Belgique et en Suisse. » C’est le seul journal à procéder à une telle recension. Les revues les plus représentées sont les revues françaises, Réussir et Mon Bureau33, et la revue belge, L’Efficience. Mais les revues francophones ne sont pas les seules sources du journal Les Affaires. Des articles provenant de revues anglophones, traduits en français, sont aussi présents, par exemple des pièces signées Herbert N. Casson, auteur que Raoult Renault qualifie de « brillant rationalisateur anglais »34, et plusieurs articles issus de sa revue The Efficiency Magazine, ou encore des articles issus de la revue américaine Industrial Executive. Au total, les articles repris d’autres revues se répartissent comme il est indiqué dans le tableau présenté ci-dessous.

Tableau 1 : Provenance des articles concernant l’administration des affaires et ses méthodes, repris de revues étrangères35

Pays Principales revues %
France Réussir, Mon Bureau 50
Belgique L’Efficience 23
Suisse Succès 7
Allemagne Organisator 7
États-Unis Industrial Executive 7
Grande-Bretagne The Efficiency Magazine 6

En plus de se référer à des revues étrangères, le journal Les Affaires a pour modèles de grands gestionnaires américains tels que Henry Ford dont on vante les « principes d’efficacité commerciale »36, « les méthodes »37, ou encore « l’école sociale »38. Le modèle du « businessman américain »39est ainsi régulièrement valorisé dans le journal. Ses méthodes et surtout son caractère sont jugés comme des composants essentiels du dynamisme économique américain. De même, Andrew Carnegie est un modèle qui apparait très souvent40.

Le journal Les Affaires trouve aussi des sources d’inspiration tangibles au Québec. On y trouve par exemple un compte rendu de visite à la Rock City Tobacco41, à Québec, dans lequel sont analysés les procédés de fabrication, la comptabilité et les relations avec le gouvernement42. Le journal publie aussi de véritables études de cas d’entreprises locales telles que la « réorganisation d’un bureau », à L’Espérance limitée43, la « réorganisation d’une industrie », à la compagnie métallurgique de Drummondville44, ou encore la « réorganisation d’un bureau », à la compagnie Durant limitée45.

Ce réseau d’influences fait du Québec, au tournant des années 1930, une zone potentiellement bien informée et très représentative du mouvement international d’idées à cette période charnière.

Enfin, le dépouillement des articles, au-delà de la période initiale, révèle une saturation rapide de l’objet d’analyse. Dans le cadre de ce travail, deux types d’analyse sont menées en parallèle : d’abord, une analyse longitudinale de surface, qui permet de répertorier sur une longue période, de 1928 à aujourd’hui, la totalité des articles publiés dans Les Affaires afin d’identifier les pièces qui vont être utilisées pour une étude approfondie; ensuite, une analyse qui repose sur la sélection de périodes clés que l’analyse longitudinale, doublée d’une lecture contextuelle plus générale, permet de repérer. Les premières années du journal sont fortement dédiées à l’éducation des Canadiens français aux nouvelles méthodes de management, mais cette période semble prendre fin au début des années 1930. Dans un éditorial intitulé Cinquième année, Raoul Renault estime que cette mission est accomplie : « Notre magazine a incontestablement contribué à améliorer chez nos compatriotes les méthodes d’affaires46… » Un virage est pris après le départ de Raoul Renault en juin 1933. Le nouveau directeur, Louis A. Belisle, réoriente la ligne éditoriale : « Vous trouverez désormais dans votre revue une plus grande variété d’informations courantes47. » La mission éducative passe au second plan, et une nouvelle ère s’ouvre, d’où l’intérêt de se pencher en profondeur sur la période initiale.

La lecture de ces pièces, le volume qu’elles représentent et la richesse de leur contenu ont conduit à un autre choix de méthode important. Notre étude se concentre sur la substance et non sur les dimensions plus sociologiques que seraient en particulier la composition du lectorat ou l’origine des auteurs du journal. Nous faisons l’hypothèse que, malgré un lectorat réduit48, l’influence du journal persiste, la preuve étant qu’il existe encore aujourd’hui. Concernant la liste des contributeurs au magazine Les Affaires49, on constate une prépondérance des professionnels de la publicité, qui représentent plus du tiers des collaborateurs (Raoul Renault est le directeur de l’Office québécois de la publicité). Viennent ensuite les universitaires ou représentants des milieux éducatifs (hec Montréal, Institut Thomas de Québec, collège de Victoriaville), qui représentent un quart des collaborateurs, puis les « professionnels », essentiellement des comptables. La même liste de collaborateurs, à la fin de la période étudiée, montre une grande stabilité même si le milieu éducatif devient prépondérant (un tiers) alors que le milieu publicitaire régresse légèrement (un quart). Cette alliance entre le monde de l’éducation et de la publicité est particulièrement intéressante, car elle montre à quel point le projet est à la fois didactique et idéologique. L’ascendant que revêt le monde de l’enseignement, combiné à l’efficacité publicitaire, donne au message du journal une puissance peu commune, laquelle est accentuée parce que ce message reflète les idées de l’époque et parce qu’il s’inscrit dans un contexte porteur.

Le contexte : industrialisation et taylorisation des bureaux

La période étudiée (19281930), outre le fait qu’il s’agit de la période durant laquelle le journal était dirigé par son fondateur Raoul Renault, est doublement intéressante. Tout d’abord, cette phase de l’histoire est significative du point de vue de l’historiographie québécoise : elle marque la fin d’un cycle d’industrialisation majeure. De ce point de vue, la situation du Québec à cette période peut être interprétée comme une phase majeure de développement du capitalisme institutionnel tel qu’il est défini par Braverman50. Ensuite, le contexte idéel est caractérisé par ce que l’on peut considérer comme l’apogée des méthodes du management scientifique à l’échelle internationale. La période à laquelle nous nous intéressons est l’étape ultime d’une longue phase de développement économique. Linteau et ses collaborateurs intitulent leur chapitre portant sur la période 18961929, Une ère de croissance51; Dickinson et Young élargissent un peu la période (18861930), qu’ils appellent le « capitalisme industriel »52; Gossage et Little font de la période s’étendant de 1890 aux années 1920 la période de la « deuxième révolution industrielle »53. La naissance du journal Les Affaires se fait ainsi à l’issue d’une période qui, sur le plan économique, est celle de la croissance et de la prospérité matérielle.

Plus précisément, selon Bélanger et Fournier54, la période 19001938 se caractérise par le mouvement de concentration du capital, mouvement qui accroit la domination anglo-saxonne pour différentes raisons : l’internationalisation des entreprises et, particulièrement pour le Québec, le poids des investissements américains, et enfin, la spécialisation. Selon ces deux auteurs, cette période est cruciale :

Le capitalisme prend donc ancrage dans tous les pores de la société québécoise. Des villes se développent, les entreprises se multiplient. Ce contexte général favorise la croissance des entreprises québécoises francophones. C’est en fait de 1896 à 19201925 que s’est véritablement « organisé » le capital québécois. Soulignons d’abord le fait que plusieurs des entreprises créées pendant la seconde moitié du xixe siècle ont acquis une stature qui incite leur propriétaire à rechercher une meilleure organisation55.

Et qui dit organisation dit gestion. C’est en effet la période pendant laquelle l’essor des cols blancs atteint des sommets. Le phénomène est international56, et le Canada n’y échappe pas, d’autant plus que le pays a connu une vague de fusions majeures qui ont conduit à l’augmentation de la taille des unités de production et à la constitution de bureaucraties57. La part des cols blancs dans la main d’œuvre totale passe de 15 p. cent en 1901 à 25 p. cent en 192158.

Si le contexte propre au Québec des premières décennies du 20e siècle est indissolublement associé au lancement du journal, le contexte des idées est l’autre facteur essentiel à la compréhension du développement d’un esprit d’affaires à la fin des années 1920. Le contexte des idées, quand on parle d’organisation dans les premières décennies du 20e siècle, renvoie immanquablement à Frederick W. Taylor et à la notion de scientific management59. Le Canada participe à ce grand mouvement d’expansion du taylorisme et connait, comme ailleurs, des résistances et des conflits majeurs60. Au Québec, le Canadien Pacifique est l’emblème de la rationalisation menée par Gantt. Les ateliers Angus de Rosemont ont été un laboratoire du taylorisme, mais l’expérience s’est révélée peu probante et a vite été arrêtée61. Nous verrons cependant que le journal Les Affaires ne puise pas dans ce réservoir d’expériences proches, mais se concentre plutôt sur la taylorisation des bureaux.

Braverman souligne la rapide diffusion du taylorisme dans les bureaux62 : aux États-Unis, Leffingwell (1917) et Galloway (1918) publient des ouvrages sur l’organisation scientifique du travail de bureau63. La division des tâches, le chronométrage, la mécanisation et le contrôle font leur entrée dans les bureaux : « Ainsi, contrairement à l’ancienne opinion de beaucoup de gens selon laquelle le travail de bureau était différent du travail en usine car sa complexité le rendait plus difficile à rationaliser, on s’aperçut qu’il était plus facile de le faire 64… » Le bureau offre ainsi un nouvel espace d’expansion à la rationalisation taylorienne. Il va lui permettre non seulement de se développer d’un point de vue technique (nouvelles méthodes, nouvelles machines), mais aussi de toucher des populations plus larges et plus diverses. Dès lors, le substrat technique va se voir compléter par des habiletés cognitives et psychologiques en adéquation avec ces nouveaux sujets. Le travail gestionnaire qui en résulte agit plus comme une psychopolitique que comme une biopolitique, même si nous verrons par la suite que le travail qu’il produit sur les corps n’est pas négligé.

Le travail gestionnaire comme psychopolitique

Braverman souligne la « nécessité absolue, pour une direction conforme aux besoins, d’imposer aux travailleurs la façon précise de faire leur travail »65. S’étendant au monde des bureaux ou même à la société en général, cette nécessité prend la forme d’une psychopolitique, c’est-à-dire un processus qui agit sur les traits psychologiques des individus66. L’intérêt du matériau recueilli dans Les Affaires est de montrer que la part technique (méthodes) et cognitive (savoirs) du travail gestionnaire ne peut opérer sans la part psychologique qui induit une transformation profonde des individus. De ce point de vue, nous verrons dans les sections suivantes que le discours technique et cognitif s’adresse surtout au peuple des bureaux dont la figure de proue, le modèle, est l’homme d’affaires, alors que le discours psychologique, dans sa formulation souvent impersonnelle, s’adresse à un public plus large, en formation, et qui se doit d’agir selon des principes de rationalité, d’efficacité et de progrès au sein de la société dans son ensemble. Au cours du 20e siècle, le modèle de travail qui s’impose est celui qui est dicté par la gestion67 alors que l’entreprise devient une institution68. Le journal Les Affaires illustre bien ce phénomène en montrant comment le travail gestionnaire, d’abord défini par des habiletés techniques et cognitives portées par la figure emblématique de l’homme d’affaires, peut s’étendre à toutes les sphères de la société au travers d’habiletés psychologiques afin de la rendre efficace.

Le travail en soi du gestionnaire : habiletés techniques et cognitives

Les habiletés techniques sont en grande partie inspirées par le mouvement de rationalisation taylorienne qui, après les ateliers, touche les bureaux. Les habiletés cognitives sont orientées par la nouvelle « religion » du progrès technique et scientifique.

Durant la période de démarrage du journal Les Affaires, au tournant des années 1930, de nombreux articles sont consacrés au mouvement de rationalisation. On voit ainsi que les nouvelles méthodes, d’abord réservées à l’atelier, ont vocation à se répandre non seulement dans le reste de l’entreprise, mais aussi dans la société. Les thèmes qui apparaissent le plus dans le nouveau mensuel sont l’organisation et la réorganisation, et le milieu principal d’application de ses méthodes n’est pas l’atelier, mais le bureau. Dès le premier numéro, dès les premières lignes, le journal, dans son éditorial, prescrit de « faire en sorte d’obtenir le maximum de rendement en fait de travail clérical avec le minimum d’efforts de la part des employés »69. Ce même numéro consacre quatre pages à la thématique « organisation du bureau moderne ». L’article du même nom, écrit par Jos. Radermecker, organisateur-conseil de Bruxelles, qui, précise-t-on, servira d’entrée en matière pour les autres articles que le journal publiera sur le sujet, donne les clés pour « obtenir dans tous les services un rendement maximum avec le minimum de prestations, les dits rendements et prestations étant pris dans leur acception la plus large et s’étendant aussi bien au côté psychologique et physiologique qu’au côté matériel »70 (c’est moi qui souligne). Ainsi, les bases sont posées d’emblée. L’objectif est l’efficacité dans tous les domaines, et cela implique les trois dimensions cardinales du travail : matérielle, psychologique et physiologique.

Plusieurs autres articles montrent l’intérêt constant du journal Les Affaires pour le travail de bureau. Deux éléments ressortent particulièrement : l’utilisation des machines et l’application du taylorisme. On recommande ainsi « le machinisme moderne au bureau »71 avec une liste d’appareils considérés comme indispensables : machines à écrire, dictaphones, téléphones, machines à additionner, caisses enregistreuses, machines à statistiques (cartes perforées), numéroteurs, etc. « Les quatre degrés du bureau »72 sont ainsi définis : plume et grand livre, système, machine, efficience. En référence à Taylor, on indique la durée type pour 17 besognes de bureau. La question du temps et de la mesure revient plusieurs fois : « Comment vos commis emploient-ils leur temps73? » « L’idée nouvelle du travail de bureau est qu’il doit rendre un service à la direction et aider la firme à augmenter les bénéfices74. »

L’intérêt pour le monde des bureaux s’accroit avec la crise de 1929, laquelle survient peu de temps après le lancement du journal. Elle touche le Québec d’autant plus durement que l’économie y est spécialisée (par exemple, l’industrie papetière, l’industrie minière). Cependant, la présence d’un fort secteur de biens de consommation courante lui permet de résister un peu mieux que l’Ontario75. La crise va marquer un point d’inflexion politique qui prend la forme d’un regain de nationalisme et d’une intervention accrue de l’État (travaux publics, mesures de secours et colonisation). Dans Les Affaires, le contexte de crise apparait aussi comme un point d’inflexion du discours76. Le journal affiche plus que jamais son parti pris pour les « vrais chômeurs, ceux qui souffrent le plus du ralentissement des affaires […] les employés de magasins [sic], les commis de bureaux [sic], les comptables, les vendeurs »77... Il défend « les chômeurs à collets blancs »78, employés de commerce et de bureau.

Mais, si l’organisation rationnelle et taylorienne est bien au centre du programme du journal Les Affaires, ce n’est pas là que réside son principal intérêt. Le journal vise à transformer en profondeur les individus, en particulier par l’éducation. Ce projet est partie intégrante du mouvement de rationalisation, mais il est en général considéré comme incorporé aux méthodes prescrites dans les ateliers, en particulier par le travail qu`il produit sur les corps79. Le journal Les Affaires insiste directement sur la transformation des esprits. Le contexte québécois et, en particulier, les résistances perçues (voir supra) expliquent certainement le chemin suivi par le journal. Ce choix reflète la confrontation entre la modernité des méthodes et la tradition, voire le supposé retard, de la société d’implantation. En effet, les recommandations du journal Les Affaires prennent aussi une tonalité quasi contemporaine de self-help books80 et portent sur des qualités de gestionnaire (ou managerial skills).

On se propose ainsi de « labourer les cerveaux […] Les méthodes d’efficience, enseignées à l’école, l’esprit de rationalisation infusé dès l’école, c’est une grande œuvre à réaliser aussi bien pour la santé du pays tout entier81. » Le journal Les Affaires mise sur l’éducation pour transformer une société québécoise dont l’ignorance est considérée comme endémique. Ce qui est constamment rappelé (voir aussi supra), c’est le retard de la société canadienne-française par rapport à la communauté anglophone. Le programme de la nouvelle revue Les Affaires, publié dans le premier numéro inclut ainsi ce constat :

Les Canadiens français qui se destinent aux affaires, lorsqu’ils sortent de classe – trop souvent, hélas!, pour des raisons majeures, sans avoir complété leurs études – entrent en service comme employés de bureaux [sic] ou de magasins [sic] avec le petit bagage de connaissances théoriques qu’ils ont acquis dans nos maisons d’éducation. Tandis que les Anglais ont toutes sortes de manuels et de revues techniques pour poursuivre leurs études et acquérir de nouvelles connaissances82

Les causes de cette ignorance sont d’ordre social; le journal Les Affaires ne fustige pas directement les institutions éducatives, mais plutôt les conditions d’existence de la population francophone. Les conséquences n’en sont pas moins dramatiques. Le numéro de mars 1931 inclut ainsi un schéma très parlant (voir annexe 2). Les causes de la « tragédie de notre éducation » sont ainsi établies : « manque d’entrainement efficace »; « ignorance des principes fondamentaux des affaires »; et « ignorance des conditions essentielles du progrès ». Elles mèneraient à la banqueroute la plupart des entreprises.

Le remède proposé par Les Affaires est d’éduquer l’ensemble de la société aux nouvelles méthodes. En effet, il s’agit bien d’influencer l’esprit général de la population, de la convertir aux idéaux du capitalisme par l’intermédiaire de méthodes dont le but, supposément neutre, est l’efficacité. Même le cultivateur se doit de s’occuper efficacement de son affaire et, par conséquent, doit avoir accès à l’éducation83. Mais, plus que tout, on « doit s’instruire et se documenter »84. De nombreux articles sont consacrés à la recommandation d’ouvrages. Une rubrique bibliographique est ainsi régulièrement publiée dans le journal en vue de conseiller aux lecteurs des ouvrages européens ou américains ou en vue d’offrir des stratégies de lecture : choix de lectures plus intellectuelles, prise de notes, lecture de biographies (Carnegie, James J. Hill, Rockefeller, Ford)85.

Pour parachever le volet éducatif, les carrières économiques sont mises à l’honneur parce qu’elles permettront au Québec d’entamer sa transformation sociale. Il s’agit en effet « d’acquérir la puissance économique qui supportera notre influence politique »86. Les parents sont encouragés à diriger leur fils vers une vocation qui correspond à ses aptitudes, de manière scientifique, c’est-à-dire en tenant compte de l’hérédité et du tempérament87. La question de l’orientation professionnelle est jugée cruciale. Des articles tels que Comment avez-vous choisi votre métier? … le problème de l’orientation professionnelle88 et Le choix d’une carrière89 placent l’entreprise et le travail gestionnaire au centre de la transformation du Québec en une société moderne.

Cette place importante accordée à l’éducation est complétée par des recommandations en matière de démarche : démarche de connaissance, qui doit être scientifique, et démarche d’action, qui doit être éthique. L’adoption d’une démarche scientifique soutient le projet de rationalisation qui se pose ainsi : « Eh bien, pourquoi vous et moi […] n’aurions-nous pas aussi des faits organisés? Pourquoi nous reposerions-nous sur des opinions qui ne sont plus vraies? […] Il faut que nous apprenions l’efficience90. » « Il n’y a pas d’effet sans cause. Demandez-vous le pourquoi de chaque chose […] Les grands hommes sont les chercheurs. Ce sont les pionniers91… » comme Ford, Newton, Faraday, Watt, Carnegie, Edison et Taylor.

Cette attitude par rapport au progrès n’est cependant pas considérée comme incompatible avec une posture éthique, au contraire, il y a compatibilité entre la vertu et la science :

Les grands points qui sont à la racine du succès en affaires sont les suivants : science, honnêteté, service et sens social […] Nous regardons le patron comme responsable envers la société du moral et de la santé de ceux qui se placent sous son contrôle. Le succès de l’homme d’affaires est considéré maintenant, non par la somme d’argent qu’il a pu accumuler, ni par les grosses assurances qu’il a su réserver à sa femme, mais par le cachet qu’il a imprimé sur la vie de ceux avec qui il est venu en contact. Pour résumer, disons que les éléments du succès en affaires comprennent : la science pratique et raisonnée, l’honnêteté avec soi et les autres, une attitude sympathique envers tout le monde, et une compréhension bien nette de sa responsabilité92.

Certes, « la mesure du succès » reste une question d’argent, mais réussir, c’est aussi « rendre service à l’humanité »93. L’homme d’affaires, par son travail, est ainsi porteur d’un projet de modernisation sociale qui dépasse de loin sa propre réussite. Ce projet fait largement écho au contexte que nous avons brièvement décrit plus haut, le rendant ainsi plus efficace.

Le journal Les Affaires supporte ainsi un projet d’éducation au service du progrès économique, et ce projet dépasse le monde des bureaux. Si l’homme d’affaires est la figure de proue de la société nouvelle, les nouveaux savoirs de l’efficience doivent imprégner l’ensemble de la société. Le travail en soi que nous venons de décrire est complété par un travail sur soi qui va parachever ce projet.

Le travail sur soi du gestionnaire : habiletés psychologiques

Ce qui fait le véritable intérêt du projet du journal Les Affaires, d’un point de vue du travail, c’est sa dimension transformative, psychopolitique. Il s’agit bien de former un nouvel individu doté de qualités personnelles, intellectuelles ou même physiques. Le fondement de cette approche se veut scientifique, ancré dans la « psychologie […] La pensée obéit à une loi aussi inexorable que celle des mathématiques […] Nous tendons à devenir […] ce que nous chérissons ou désirons ardemment, et à ressembler de moins en moins à ce que nous haïssons, méprisons et renions94. » On trouve ainsi, dans le numéro de mai 193095, une intéressante référence au livre Gouvernement de soi-même d’Antonin Eymieu, jésuite français et directeur de conscience. Ce livre, sous-titré Essai de psychologie pratique, a été publié en France en quatre séries entre 1905 et 1930 : Les Grandes lois en 1905; L’obsession et le scrupule en 1909; L’Art de vouloir en 1935; et La Loi de la vie en 1930. L’idée du gouvernement de soi-même, que l’on retrouve chez les philosophes, de Marc-Aurèle à Michel Foucault, reflète explicitement la dimension psychopolitique du projet du journal Les Affaires. La psychologie pratique anglaise est également mobilisée avec une référence au Fern Business Institute96, qui édite de nombreux manuels tels que Marvels of Will Power, Twelve Golden Keys to Success et The Master Manager dans les années 19201930. Ces références sont d’autant plus intéressantes que le mouvement de rationalisation est généralement associé à un autre niveau d’analyse psychologique, celui de la masse, avec en particulier la Psychologie des foules de Gustave Le Bon. Ici, c’est bien l’individu que l’on cible et que l’on cherche à transformer au travers d’un travail sur soi. Pour ce faire, les conseils abondent dans plusieurs numéros : « Ayez un but noble et élevé […] soyez votre maître […] créez votre but […] spécialisez-vous […] développez votre personnalité97; » « Croyez-en vous-même98; » « Mettez votre personne en valeur99; » « Cinq facteurs de réussite : l’observation, l’énergie, l’initiative, l’imagination et les idées100; » « Prendre de bonnes habitudes101; » « Avoir de l’ordre102; » « Être curieux comme un enfant103. »

Pour inventer cet homme nouveau, la question de ce que l’on appelle aujourd’hui le leadership est importante. Celui-ci est défini par la responsabilité individuelle, soit la supériorité du chef, soutenue non seulement par la crainte qu’il pourrait inspirer, mais aussi par sa capacité de laisser ses subalternes prendre l’initiative :

L’autorité des chefs d’entreprise […] Cette science, car ç’en est une, et une grande, repose […] sur le savoir et la personnalité. L’ascendant qu’un homme peut avoir sur les autres tient donc à des qualités morales, intellectuelles et physiques104.

Des chefs, il en faut […] Ce dont le monde a le plus besoin, à l’heure actuelle, ce sont des hommes de caractère, des chefs […] Ils seront l’élite, en quelque sorte le cerveau de la nation105.

Cette insistance sur le chef ou le leader est très courante depuis la fin du 19e siècle106. Elle permet autant de faire émerger des chefs que de légitimer leur pouvoir auprès des suiveurs, infiniment plus nombreux, d’où l’importance de cette insistance dans le journal Les Affaires, dans le cadre du projet de transformation sociale.

En parallèle, on se doit de cultiver les « bonnes » attitudes comme « le courage »107, « l’homme positif »108 ou « l’Enthousiasme »109. Cet ensemble de qualités à forte composante éthique conduit au succès :

D’où vient le succès? […] Dans la lutte économique, est décisif non ce que nous possédons, mais l’usage que nous en faisons110.

Comment devenir riche […] La recette, on le voit, est facile : connaitre la valeur de l’argent, travailler ferme, économiser méthodiquement et faire de bons placements111.

Un autre trait de caractère est particulièrement mis en valeur, l’optimisme et, son corollaire managérial, l’adhésion inconditionnelle au changement :

L’année 1928 est chose du passé. L’avenir est à nous. La route est large, si elle est surmontée de difficultés, mais tout le monde y trouvera place […] Le soleil s’élève radieux sur les monts, la brise gonfle gentiment les voiles du progrès. Lancez-vous spontanément dans le tourbillon économique112 … 

Il y a là un point important. La transformation s’appuie sur la rationalisation et l’efficacité, mais un autre élément est fondamental, le progrès, et son corollaire, le changement. C’est en son nom que la tradition est devenue obsolète et c’est en son nom que la transformation industrielle va continuellement se renforcer jusqu’à notre époque.

Corollaire de ce discours modernisateur, des méthodes, qui relèvent du travail sur soi, sont préconisées afin de développer une attitude positive. On recommande ainsi un exercice qui ressemble singulièrement au « lâcher prise » :

Ouvrez largement vos yeux : cherchez les perspectives engageantes. Soyez optimistes! […] Au lieu de n’admettre jamais d’autres préoccupations que vos affaires […] Quittez votre bureau, sortez de la ville. Allez-vous promener seul, pendant quelques heures, dans la forêt. Foulez le tapis bruissant des feuilles mortes comme le ferait un enfant. À ce moment, arrêtez-vous; déposez là, à côté de vous, tout ce qui vous est fardeau113

Même après la crise, le pessimisme est banni. Les « krachs de la Bourse » ne doivent pas détourner les esprits : « Rétablissons la confiance […] il importe de sonner la note optimiste114. » Le discours se fait moralisateur :

Quoiqu’en disent les prophètes de malheur et les « politicailleurs », nous ne pouvons pas dire que nous avons été aussi profondément affectés que les autres pays par la crise mondiale. C’est plutôt l’ordre moral qui a subi une dépression […] Que le mot d’ordre de 1931 soit : Tout le monde à la roue115!

Puisse le monde entier mettre en pratique ce conseil du Pape et abandonner ses idées noires. Le reste ira tout seul116.

Le volet psychologique du travail sur soi du gestionnaire s’articule ainsi, de manière tout à fait explicite, autour du volet politique du discours, formant ainsi un mode de fonctionnement psychopolitique qui est à même de transformer la société entière. À partir de 1931, on note ainsi une augmentation du nombre d’articles à teneur non seulement plus politique, mais aussi plus religieuse, qui s’inspirent d’analyses de la crise et qui dénoncent le pessimisme, les divisions, tout en approuvant la coopération117. On recommande non seulement le « travail d’équipe »118, le « team work »119, mais aussi l’éducation économique, l’association du capital et du travail :

Retournons à la vie normale […] Chacun à sa place et chaque chose à sa place […] Il y aura toujours des classes […] Le rêve des socialistes et des socialisants ne s’accomplira jamais […] d’autres s’achemineront machinalement toute leur vie dans la gêne […] C’est la vie. Elle se déroule ainsi depuis le commencement des siècles. Elle se déroulera de même jusqu’au jugement dernier120.

On recommande la nécessaire coopération entre le politique et l’économique dans le cadre d’une société qui repose sur l’harmonie et non sur la lutte des classes. On fait l’apologie de la liberté du commerce associée à la démocratie. On critique les partis politiques. On préconise un État stable et limité121. L’appel à l’optimisme se fait ainsi moins individuel et plus politique, plus collectif.

Le travail sur soi n’est cependant pas que psychologique; il touche également le corps et son apparence. En effet, en complément à cette transformation des attitudes intellectuelles, morales et comportementales, une dernière caractéristique retient l’attention dans le journal Les Affaires : le physique. Dès le premier numéro, un court article est consacré à la culture physique :

D’ailleurs tous les hommes qui réussissent possèdent une forte santé et presque tous ont un physique au-dessus de la moyenne. Ceci est tellement vrai que si vous assistez jamais à une réunion de directeurs d’une puissante corporation, vous serez saisi de l’impression de force physique et de puissance mentale qui se dégage de l’assemblée122.

Et, ce corps, il faut l’entretenir et il faut « envisager l’organisation du point de vue physiologique. En effet, un homme bien constitué physiologiquement et entretenant soigneusement son mécanisme organique est mieux préparé pour la lutte commerciale et son rendement propre, conséquemment celui de son affaire, en sont accrus [sic]123. » On proscrit « toutes sortes d’excès […] l’individu qui, par exemple, prend une “brosse” périodiquement »124

Une autre sorte de « muscle » nécessite aussi un entretien sérieux, le cerveau :

Entrainez votre cerveau […] aussi facilement que le boxeur entraine ses muscles […] Prenez l’habitude de vous enfermer en vous-même au moins une fois par jour et de vous recueillir pendant au moins une demie heure [sic] […] entrez en vous-même et pensez à tout ce qui peut contribuer à améliorer votre position125.

Le journal publie également de très nombreux articles sur la mémoire, dont Cette mémoire ingrate dont vous vous plaignez tant, paru en deux parties : la première, dans le numéro de décembre 1928 (p. 335337) et la deuxième, dans le numéro de janvier 1929 (p. 373376).

Enfin, le vêtement est un attribut de mise en valeur qu’il ne faut pas négliger tant pour soi que pour les autres :

L’habit ne fait pas le moine […] mais […] se vêtir impeccablement a deux conséquences bien distinctes : l’effet produit sur l’individu ainsi vêtu lui-même et l’effet produit sur les gens avec qui il vient en contact126.

Le journal Les Affaires invente ainsi au fil des numéros un homme nouveau qui se construit, selon la formule de Marcuse, par un travail en soi et un travail sur soi, et qui a vocation à promouvoir ses techniques, ses savoirs et ses attitudes auprès du reste de la société afin de la transformer en profondeur.

Conclusion

Une interprétation aisée des résultats de l’enquête menée ici serait de n’y voir qu’une manifestation de plus d’une société canadienne-française traditionnelle confrontée aux changements inéluctables de la modernité triomphante. De ce point de vue, le journal Les Affaires participe pleinement à l’expansion capitaliste en propageant l’idéologie de la rationalisation, et surtout en insistant sur la nécessaire transformation des esprits. En deçà du conflit classique entre tradition et modernité se profile par conséquent un phénomène moins visible du 20e  siècle, mais tout aussi emblématique : le fait gestionnaire. Et le Québec ne fait pas exception, il est plutôt un laboratoire très intéressant pour étudier un phénomène plus large, celui de « la révolution sociale fondamentale du 20e siècle […] la prise graduelle du pouvoir, dans les affaires comme en politique, par les élites bureaucratiques »127. Et ce phénomène a rencontré des résistances ailleurs qu’au Québec. Il ne s’est pas fait « naturellement », que ce soit aux États-Unis ou en Europe128.

Cet article se proposait ainsi de mettre en relation deux niveaux d’analyse dans le sillage de la philosophie sociale critique129 : le niveau micropolitique où les compétences en gestion transforment les comportements; le niveau macrosocial où ce processus a pour fin d’expulser ce qui reste de traditions préindustrielles dans un monde qui se veut désormais régi par la raison comme démarche d’action, par l’efficacité comme résultat et par le changement comme principe. Finalement, étudier un discours de légitimation managérial au travers du travail gestionnaire permet, en prolongeant les analyses de Braverman, d’en mesurer les implications de manière plus large que ne le font les analyses catégorielles. Ce point de vue est d’autant plus important que la transformation sociale est toujours en cours comme le montre l’attrait durable qu’exercent les écoles de gestion, lieu par excellence de la psychopolitique, auprès des étudiants partout dans le monde.

Annexe 1 : Les collaborateurs du journal Les Affaires

Mrs. Sven Sorenson serving lunch to the men of Camp No. 6 during the construction of the Steep Rock open-face mine

Source : Les Affaires (février 1928).

Annexe 2 : Schéma illustrant les causes de la tragédie de notre éducation

Mrs. Sven Sorenson serving lunch to the men of Camp No. 6 during the construction of the Steep Rock open-face mine

Source : « La tragédie de notre éducation », Les Affaires (mars 1931), 34.


1. Harry Braverman, Travail et capitalisme monopoliste. La dégradation du travail au xxe siècle (Paris : François Maspero, 1976). Edition originale : Labor and Monopoly Capital (New York : Monthly Review Press, 1974).

2. Braverman, Travail, 249.

3. Braverman, Travail, 251.

4. Braverman, Travail, 28–29.

5. Il place les employés de service et de commerce encore plus bas dans la hiérarchie.

6. Nous y reviendrons en détail dans la suite de l’article.

7. Braverman, Travail, 126.C’est l’auteur qui souligne.

8. Pour des références récentes, voir en particulier : David Graeber, Bureaucratie. L’utopie des règles (Paris : Les Liens qui libèrent, 2015); Béatrice Hibou, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale (Paris : La Découverte, collection « Cahiers libres », 2012).

9. À titre d’exemples : Jürgen Kocka, Les employés en Allemagne 18501980 – Histoire d’un groupe social (Paris : Éditions de l’ehess, 1989); Jürgen Kocka, White Collar workers in America 18901940 (London : Sage, 1980); Olivier Zunz, L’Amérique en col blanc. L’invention du tertiaire : 18701920 (Paris : Belin, 1991) [traduction de l’ouvrage suivant : Making America Corporate (Chicago : The University of Chicago Press, 1990]; Delphine Gardey, La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau : 18901930 (Paris : Belin, 2001); Charles Wright Mills, White collar : The American middle classes 19161962 (New York : Oxford University Press, 1951); William Whyte, The Organisation Man (New York : Simon & Schuster, 1956); Melville Dalton, Men Who Manage (New York : John Wiley & Sons, 1959); Michel Crozier, Le monde des employés de bureau (Paris : Le Seuil, 1965); Luc Boltanski, Les cadres. La formation d’un groupe social (Paris : Les Éditions de Minuit, collection « Le sens commun », 1982).

10. À l’instar de Boltanski, nous choisissons, sur ce point, de lever l’obligation de donner une définition au préalable : Boltanski, Les Cadres.

11. Voir par exemple Anne Pezet et Éric Pezet, La société managériale. Essai sur les nanotechnologies de l’économique et du social (Montreuil : Éditions la ville brûle, 2012).

12. Les Affaires (avril 1929), 81.

13. Les Affaires (octobre 1928), 271.

14. Les Affaires (septembre 1929), 232233.

15. Les Affaires (février 1928), 3.

16. Braverman, Travail, 214.

17. Les réflexions à propos d’un rapprochement entre les pensées de Marx et de Foucault se sont récemment multipliées, tout particulièrement dans le champ de la philosophie sociale critique. Voir à ce sujet : Christian Laval, Luca Paltrinieri, Fehat Taylan (dir.), Marx & Foucault. Lectures, usages, confrontations (Paris : La Découverte, 2015); ou Jacques Bidet, Foucault avec Marx (Paris : La Fabrique, 2014).

18. Yves Cohen, Le siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (18901940) (Paris, Éditions Amsterdam, 2013), 373379.

19. Hugo Münsterberg, Psychology and Industrial Efficiency (New York : Houghton Mifflin, 1913), http://psychclassics.yorku.ca/Munster/Industrial/, et, pour une mise en perspective : Annick Ohayon, « La psychologie appliquée à la conduite de soi et des autres dans l’entre-deux-guerres » dans Éric Pezet, dir., Management et conduite de soi. Enquête sur les ascèses de la performance (Paris : Vuibert, 2007).

20. Herbert Marcuse, « Les fondements philosophiques du concept économique de travail » dans Culture et société (Paris : Éditions de Minuit, 1970), 31.

21. Braverman, Travail, 214.

22. La semaine commerciale, 1, n°1 (17 août 1894), 34. Les numéros peuvent être consultés en ligne : http://eco.canadiana.ca/view/oocihm.8_04102_1/3?r=0&s=1.

23. Par exemple, la Revue agricole, manufacturière, commerciale et de colonisation qui parait à Montréal dès 1861.

24. Dans plusieurs de ses éditoriaux, Raoul Renault fait référence aux deux revues qui ont précédé Les Affaires en situant cette dernière dans un continuum de publications depuis 1924.

25. Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, 18961929 (Montréal : Fides, 2016), 115.

26. Heather A. Haveman, Magazines and the Making of America : Modernization, Community, and Print Culture, 17411860 (Princeton, NJ : Princeton University Press, 2015).

27. Ces différentes caractéristiques viennent compenser une diffusion en apparence faible – voir infra. La portée sociale du magazine est plus forte que ne le laisse supposer son tirage.

28. Haveman, Magazines and the Making of America, 5.

29. Everett C. Hughes., Rencontre de deux mondes. La crise d’industrialisation du Canada français (Montréal : Éditions Boréal, 2014). Cet auteur a certainement contribué à cantonner le Québec dans l’ornière traditionaliste.

30. Zunz, L’Amérique en col blanc, chapitre I.

31. La collection est disponible sur microfiches à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Montréal et à la Bibliothèque hec Montréal. Comme quatre numéros manquaient pour la période étudiée (juillet, août, octobre et novembre 1929), ils ont été consultés sous format papier.

32. Même si le journal Les Affaires consacre une place importante au domaine de la vente et à des sujets d’information générale, le présent article ne traite que d’administration.

33. Ces deux revues sont en France les deux principales du domaine. Voir à ce propos : Luc Marco, «  Les premières revues consacrées à l’Économie Industrielle en France (18981940) : essai prématuré ou reflet d’une tradition? », Revue d’économie industrielle, 54, 4e trimestre 1990, 113129.

34. Casson est en réalité canadien. D’abord journaliste, il s’intéresse au monde industriel et devient un promoteur de la rationalisation. Il s’installe en Angleterre où il écrit de nombreux ouvrages et articles.

35. Le journal cite aussi des publications concernant la vente, l’économie ou l’actualité. Nous restreignons notre analyse au seul champ de l’administration des affaires et ses méthodes.

36. Les Affaires (janvier 1929), 385

37. Les Affaires (avril 1929), 89.

38. Les Affaires (juin 1930), 147148.

39. Les Affaires (juin 1930), 155156.

40. D’autres sont pris en exemple : Thomas A. Edison qui « devrait servir de modèle pour nos jeunes gens […] l’inventeur fécond […] le chercheur infatigable » (décembre 1928, 329330); « Jim Farell, tête d’un cartel de l’acier […] Sa personnalité […] très aimable, très modeste […] Sa mémoire […] Son travail […] Son art de vendre […] Ses lectures […] » (décembre 1928, 347); « Le Roi du pétrole […] John D. Rockfeller [sic] » (septembre 1929, 251).

41. Entreprise de tabac fondée à Québec, dans le quartier Saint-Roch, par Olivier-Napoléon Drouin et Joseph Picard en 1899.

42. Les Affaires (mai 1928), 9495.

43. Les Affaires (novembre 1928), 313317.

44. Les Affaires (janvier 1930), 375379.

45. Les Affaires (février 1930), 2328.

46. « Cinquième année », Les Affaires (février 1932), 3.

47. Les Affaires (juillet 1933), 162.

48. Le tirage du journal est estimé à 1 750 exemplaires en 1935. Voir André Beaulieu et Jean Hamelin, La presse québécoise des origines à nos jours, tome 6 (Québec : Les Presses de l’université Laval, 1973), 159.

49. Voir la liste des collaborateurs en annexe.

50. Braverman, Travail, 214.

51. Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain. De la confédération à la crise (18671929), tome I (Montréal : Les Éditions du Boréal, 1989); Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, François Ricard, Histoire du Québec contemporain. Le Québec depuis 1930, tome II (Montréal : Les Éditions du Boréal, 1989).

52. John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec (Québec : Les éditions du Septentrion, 2009).

53. Peter Gossage et Jack I. Little, Une histoire du Québec : entre tradition et modernité (Montréal : Éditions Hurtebise, 2015).

54. Yves Bélanger et Pierre Fournier, L’entreprise québécoise. Développement historique et dynamique contemporaine (Montréal : Éditions Hurtubise, 1987).

55. Bélanger et Fournier, L’entreprise québécoise, 3334.

56. Zunz, L’Amérique en col blanc; Gardey, La dactylographe et l’expéditionnaire.

57. James W. Rinehart, The Tyranny of Work (Canadian Social Problems Series) (Toronto : Academic Press Canada, 1987).

58. Rinehart, The Tyranny of Work, 4546.

59. Taylor a développé ses méthodes dans le secteur métallurgique dès la fin du 19e siècle. Ses idées se sont ensuite propagées aux États-Unis et en Europe par l’exemple, en particulier pour la coupe rapide des métaux. La diffusion du taylorisme passe en effet d’abord par l’industrie métallurgique et par les réseaux d’ingénieurs. L’industrie automobile vient ensuite relayer puissamment la pratique de l’organisation scientifique. À cette époque, Taylor s’appuie sur un réseau de disciples dévoués, des ingénieurs-conseils (les efficiency experts) en particulier, qui vont prêcher la bonne parole. À ce sujet, voir en particulier : Éric Geerkens et Aimé Moutet, « La rationalisation en France et en Belgique dans les années 1930 », Travail et Emploi, 112 (octobre-décembre 2007), 7586; Matthias Kipping, « American management consulting companies in Western Europe, 1920 to 1990: products, reputation,, and relationships », Business History Review, no 73 (été 1999), 190220.

60. Rinehart, The Tyranny of Work; Craig Heron, « The Crisis of the Crafstman : Hamilton’s Metal Workers in the Early Twentieth Century », Labour/Le Travail, no 6 (1980), 749.

61. Rinehart, The Tyranny of Work; Gaëtan Nadeau, Angus, du grand capital à l’économie sociale (Montréal : Fides, 2009); Robert Nahuet, Une expérience canadienne de taylorisme : le cas des usines Angus du Canadien Pacifique, thèse de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 1984.

62. Braverman, Travail, 252 et suivantes.

63. William Henry Leffingwell, Scientific Office Management. A Report of the Application of the Taylor System of Scientific Management to Offices (Chicago : A. Shaw Company, 1917); Lee Galloway, Office Management, Its Principles and Practice : Covering Organization, Arrangement, and Operation with Special Consideration of the Employment, Training, and Payment of Office Workers (New York : Ronald Press, 1918). Ces deux auteurs ont publié d’autres ouvrages sur le même sujet.

64. Braverman, Travail, 259.

65. Braverman, Travail, 81.

66. Cohen, Le siècle des chefs, 373379.

67. Graeber, Bureaucratie; Hibou, La bureaucratisation; ou Pezet, La société managériale.

68. Thibault Le Texier, Le maniement des hommes. Essai sur la rationalité managériale (Paris : Éditions La Découverte, 2016).

69. Les Affaires (février 1928).

70. Jos Radermecker, « L’organisation du bureau moderne », Les Affaires (février 1928), 2326.

71. Les Affaires (mai 1928), 115116.

72. Les Affaires (août 1932), 215.

73. Les Affaires (mars 1932), 3132.

74. Les Affaires (août 1932), 215.

75. Linteau et al., Histoire du Québec contemporain.

76. Voir la dernière section de l’article pour plus de détails.

77. Les Affaires (janvier 1931), 358.

78. Les Affaires (décembre 1931), 353354.

79. Cynthia Comacchio, « Mechanomorphosis : Science, Management, and “Human Machinery” in Industrial Canada, 1900–45 », Labour/Le Travail, no 41 (printemps 1998), 3567; Alan McKinlay et James Wilson, « “All they lose is the scream” : Foucault, Ford and mass production », Management & Organizational History, 7, no 1(février 2012), 4560.

80. En réalité, la notion a été développée dès le milieu du 19e siècle (Samuel Smiles en 1859), mais elle a pris un essor considérable à la fin du siècle suivant. Voir : Micki McGee, Self-help, Inc. : Makeover Culture in American Life, (Oxford : Oxford University Press, 2005).

81. Les Affaires (décembre 1929), 345346. Article repris de la revue Réussir.

82. Les Affaires (février 1928), 29.

83. Les Affaires (mars 1928), 4344.

84. Les Affaires (mars 1928), 61.

85. Les Affaires (août 1928), 213216.

86. Les Affaires (juillet 1928), 179.

87. « Songez à l’avenir de votre fils! », Les Affaires (août 1928), 195196.

88. Les Affaires (mars 1930), 4748. Article tiré de la revue Réussir, publié dans le numéro du mois de mars 1930.

89. Les Affaires (juin 1930), 131132.

90. Les Affaires (mai 1929), 107109.

91. Les Affaires (mars 1928), 5556.

92. « Pour réussir en affaires », Les Affaires (mai 1930), 109111.

93. Les Affaires (juin 1930), 153.

94. Les Affaires (septembre 1928), 248.

95. Les Affaires (mai 1930), 109.

96. Les Affaires (mars 1929), 55.

97. Les Affaires (mars 1929), 4546.

98. Les Affaires (août 1930), 221.

99. Les Affaires (septembre 1930), 225.

100. Les Affaires (septembre 1930), 227228.

101. Les Affaires (avril 1930), 7172.

102. Les Affaires (mai 1930), 115116.

103. Les Affaires (mai 1930), 117118.

104. Les Affaires (août 1928), 217218.

105. Les Affaires (août 1928), 220.

106. Pour une étude complète, voir : Cohen, Le siècle des chefs.

107. Les Affaires (septembre 1928), 258

108. Les Affaires (décembre 1928), 333.

109. Les Affaires (mars 1929), 44.

110. Les Affaires (juin 1928), 155.

111. Les Affaires (août 1928), 220.

112. Raoul Renault, « Éditorial », Les Affaires (janvier 1929), 357358.

113. Les Affaires (avril 1928), 9192.

114. Les Affaires (novembre 1930), 289.

115. Les Affaires (janvier 1931), 359.

116. Les Affaires (mars 1932), 44.

117. Les Affaires (mars 1931), 44.

118. Les Affaires (février 1931), 27.

119. Les Affaires (mai 1931).

120. Les Affaires (août 1932), 199.

121. « Des hommes à la barre », Les Affaires (février 1932), 35.

122. Les Affaires (février 1928), 20.

123. Les Affaires (février 1930), 1920.

124. Les Affaires (août 1930), 207208.

125. Les Affaires (février 1931).

126. Les Affaires (août 1930), 205.

127. Thomas C. Cochran, Railroad Leaders, 18451890 : The Business Mind in Action (Harvard : Harvard University Press, 1953).

128. Cochran, Business in American Life; Zunz, L’Amérique en col blanc; Le Texier, Le maniement des hommes.

129. Laval et al., Marx et Foucault; Bidet, Foucault avec Marx.


How to cite:

Anne Pezet, “Le travail gestionnaire comme psychopolitique au service de la transformation sociale du Québec : une étude du journal Les Affaires, 1928–1933,” Labour/Le Travail 83 (Printemps 2019): 121–145, https://doi.org/10.1353/llt.2019.0005.