Labour / Le Travail
Issue 84 (2019)

review essay / note critique

Toujours dans les limbes historiographiques : le cinquantenaire de Mai 68 au travers de quatre livres

Alban Bargain-Villéger

Monique Bauer, dir., Filles de Mai. 68 mon Mai à moi : mémoires de femmes (Lormont : Le bord de l’eau, 2018).

André Bertrand et André Schneider, Le scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même (Montreuil : L’Insomniaque, 2018).

Romain Cruse, Le Mai 68 des Caraïbes (Montréal : Mémoire d’encrier, 2018).

Richard Vinen, The Long ’68 : Radical Protest and its Enemies (London : Allen Lane, 2018).

Dans Sans armes face à Hitler, l’historien de la résistance, Jacques Semelin, a évoqué le phénomène de la « création de son histoire par l’Histoire », compris comme « une autre façon de dire la résistance en l’inscrivant dans une culture du sacrifice, qui force le respect et légitime le discours de celui qui parle au nom des morts »1. Toute proportion gardée, cette si nécessaire et pourtant si compliquée coexistence, voire cohabitation, des survivants-témoins et des historiens s’applique aussi maintenant aux décennies 1960–1970. Bien qu’on ne puisse comparer l’incomparable, l’historicisation des mouvements politiques et socioculturels de ces années-là a connu et connaît encore des frottements historiographiques entre mémoire et histoire, autrement dit, une inévitable juxtaposition des témoignages et des sources secondaires rédigées par ceux et celles qui n’ont pas vécu ces événements. Cela n’est pas exceptionnel en soi, en ce que le choc sujet-historien est inhérent à toute étude contemporaine.

Ce qui rend la période dite Mai 68 toujours problématique du point de vue historiographique concerne ses causes et sa nature. Comme l’illustrent les quatre ouvrages analysés dans ce compte rendu, le sujet reste vague et hétérogène, même après un demi-siècle. Alors que les articles et les livres sur les mouvements socio-étudiants de cette époque abondent, les questions liées à la périodisation de ces années restent ouvertes à la controverse. Mais au-delà des défis inhérents à l’élaboration d’une fenêtre chronologique, il est juste de se demander quelles sont les limites conceptuelles et spatiales de cette période charnière. En effet, de quel Mai 68 parle-t-on? Parfois, on serait porté à croire que les spécialistes ne comprennent pas cet événement (ou plutôt ces événements et mouvements globalement connectés) autrement que dans sa nature contestatrice et politique, car les difficultés liées à des définitions et à des délimitations nettes du moment 68 ne concernent pas que sa nature. Tantôt présentée comme une révolution, tantôt, comme une série de mutations sans véritables conséquences sur le ou les ordres établis dans le moyen terme, cette nébuleuse de spasmes sociopolitiques, culturels et économiques en plusieurs points du monde s’avère aussi compliquée à inscrire dans le temps que dans l’espace. Une approche globale et synthétique pour cerner Mai 68, ses prémisses et ses suites a tout d’une tâche ardue qui s’apparente à celle de s’engager dans une tentante mais interminable pêche à l’écrevisse. En effet, plonger le bras dans cette rivière implique forcément d’en retirer une farandole de prises à la queue leu leu, pinces et queues imbriquées dans un maelstrom dégoulinant. Ainsi, Mai 68 fait figure de synecdoque historique, entraînant à sa suite ses antécédents comme ses conséquences et avatars.

Les quatre ouvrages présentés ici reflètent les écueils conceptuels inhérents à toute étude de Mai 68. La dénomination elle-même est trompeuse, évidemment francocentrée, d’autant plus que cette « époque » débute, selon de nombreux spécialistes, plusieurs années avant, sans doute aux États-Unis. Dès le départ donc et avant même qu’on puisse initier ou non le débat sur la globalité de ces événements, tout travail de synthèse fait face à la question des frontières conceptuelles et spatiotemporelles du sujet. Ce défi imprègne profondément les cas qui nous intéressent. Publiés en 2018 à l’occasion du cinquantenaire de Mai 68, ces ouvrages s’inscrivent dans la continuité de leurs prédécesseurs, dans la mesure où ils ne conçoivent pas de la même manière ce sujet à première vue facilement identifiable et localisable dans le temps. D’une part, Richard Vinen argue en faveur d’un long 68 qu’on pourrait aussi qualifier de « large » en raison de son approche comparative. D’autre part, Filles de Mai et Le scandale de Strasbourg se concentrent sur la France. Mais alors que celui-ci couvre un prélude majeur à l’explosion de mai-juin, celui-là se concentre sur les perspectives de femmes au cœur même des événements. Enfin, Le Mai 68 des Caraïbes met en avant les particularités d’une zone souvent négligée dans les études sur les transformations des années 1960.

Cela ne signifie pas que les vues de ces auteurs sont irréconciliables. Leurs études se recoupent en fait sur plusieurs plans et prêtent le flanc à des contrastes intéressants. Ces livres ne font que confirmer l’état d’un sujet qui s’avère une pente glissante. Néanmoins, le cinquantenaire de Mai 68 semble annoncer un tournant historiographique imminent, comme si le sujet s’engageait enfin sur le chemin de l’historicisation. Ce phénomène transparaît assez clairement dans la présente étude qui se divise en deux volets, le premier étant un résumé détaillé de chacun des quatre ouvrages et le second, une partie thématique. Il est aussi notable que, malgré leurs approches différentes, les études analysées ici s’ingénient à désenclaver Mai 68 du récit sériel et élitiste qu’on trouve dans les manuels scolaires sur certains événements : les manifestations anti-Vietnam, les événements de Prague, la formation du Mouvement du 22 mars, etc. Plutôt que de nouvelles approches sur Mai 68, les dernières décennies ayant vu la publication de nombreuses études novatrices2, il s’agit là d’une accélération du démantèlement de la mythologie soixante-huitarde.

The Long ’68 de Richard Vinen est, des quatre, le livre le plus accessible pour qui veut tenter de comprendre la période dans son ensemble. L’absence de jargon et la concision des sous-sections (deux ou trois pages en moyenne) en font un point d’accès aisé à consulter et un outil pédagogique utile pour des étudiants anglophones ne connaissant rien au sujet. Néanmoins, cet ouvrage contient plusieurs niveaux, dans la mesure où il ouvre plus d’une perspective d’ordre historiographique et conceptuel. D’une part, ce travail peut se lire comme une tentative de synthèse, une manière de couvrir Mai 68 dans des pays du monde dit occidental. D’autre part, une analyse attentive de ce Long ’68 révèle une réflexion sophistiquée sur les causes directes des mouvements sociaux de cette époque ainsi que sur les inévitables questions liées à la périodisation.

En premier lieu, Vinen ne prétend pas présenter des sources inédites. Très humblement, il offre une vue générale de la dynamique entre pro-68 et anti-68 tout en clarifiant dès les premières pages qu’un « term not much used in 68 was “68” »3. Non seulement le symbolisme de 1968 est-il construit post-hoc, mais encore son histoire ne se confine pas au seul espace du début du dernier tiers du 20e siècle. Ainsi, l’exploration de cette période ne peut se faire sans que l’on doive se pencher sur la « 68 Generation4 » dans la longue durée, surtout si l’on considère que « Joshka Fischer, Bill Clinton, Jack Straw […] held high office »5 dans les années 1990. Cependant, Vinen remarque judicieusement que tout questionnement sur les limites chronologiques implique un choix idéologiquement délicat. En effet, établir des liens étroits entre l’ère qu’on pourrait qualifier de « romantique » et les sombres années 1970 durant lesquelles plusieurs soixante-huitards optent pour la violence peut, par exemple, servir de base à une critique conservatrice de tout questionnement sociopolitique6. En second lieu, l’auteur s’intéresse aux thèmes les plus saillants de Mai 68 dans cinq pays : l’Allemagne, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie. Le sujet peut sembler ambitieux, mais l’auteur parvient néanmoins à donner une idée assez nette et dénuée de jargon des nombreux sujets centraux à cette époque : les conflits générationnels, l’émancipation des femmes et le féminisme, les droits civiques aux États-Unis, la libération sexuelle, le Vietnam, la décolonisation, les velléités autonomistes ou indépendantistes régionales – en Bretagne, en Flandre et en Irlande du Nord7.

Une des grandes forces du livre, outre sa lisibilité, est de situer le sujet au-delà de l’histoire événementielle. Malgré des manques concernant les origines lointaines des mouvements de 68, l’ouvrage de Vinen donne une bonne vue d’ensemble des explications avancées par les uns et les autres concernant les causes de l’agitation syndicale et estudiantine. Pour ce qui est de cette dernière, on appréciera tout particulièrement l’exposé sur les arguments de Bourdieu et de Boudon selon lesquels les « protesters were the academically undistinguished children of affluent families. Such people found that the expansion of university education reduced the economic value of their qualifications, and that devaluation was particularly marked for those who had studied sociology – the subject that was most associated with protest in 688. » Bien que Vinen n’exclue pas la conscience généralisée du déclassement et la dévalorisation des diplômes universitaires, il souligne que les causes du mécontentement ont été multiples, affirmant en passant que ces mouvements n’étaient sans doute pas aussi radicaux qu’on pourrait le croire au premier abord9.

Pour résumer, on ne trouve là rien de nouveau sous le soleil, sinon une tentative courageuse et assez réussie de mettre 68 en perspective. La structure simultanément thématique et chronologique de l’ouvrage permet d’identifier facilement les facteurs et les particularités propres à un pays ou à un contexte donné ainsi que les dénominateurs communs, comme la centralité du sentiment anti-Vietnam ou la tentation de la violence, qu’il soit question des Black Panthers, de la Rote Armee Fraktion (raf) [Fraction armée rouge] ou encore des Brigate Rosse (br) [Brigades rouges]. Une autre force de l’ouvrage The Long ’68 réside dans l’attention portée aux adversaires de 1968, souvent négligés dans d’autres monographies. Ainsi, les portraits de réactionnaires, tels que Richard J. Daley et Henry Kissinger, ou d’antagonistes plus ambigus, comme Pompidou, Robert Kennedy et Harold Wilson, apportent une dimension supplémentaire à la tentative de définition du phénomène 6810. Sans pour autant apporter de nouvelles réponses, Vinen pose néanmoins une question majeure sur laquelle les historiens de la période seront de plus en plus souvent amenés à se pencher : « Is 1968 over11? » Comme ces soulèvements se sont déclenchés au moment où les soi-disant Trente Glorieuses perdaient de la vitesse, il est légitime de se demander si les événements de 1968 n’ont pas inauguré une ère de crises multiformes et périodiques dans laquelle le monde occidental est toujours bloqué.

Dans un genre et un style radicalement différents, Filles de Mai donne la parole à vingt-deux femmes témoins et actrices de Mai 68. Il s’agit en fait d’une réédition d’une étude parue en 2004, accompagnée d’une préface de Michelle Perrot. Une postface plutôt succincte, datée de 2017, de Ludivine Bantigny, semble être le seul ajout à cet ouvrage. Structuré comme un dictionnaire, Filles de Mai aborde des thèmes divers tels que le maoïsme, la marginalité ou encore le racisme. Évidemment, le féminisme, la sexualité et la famille occupent une place de choix, mais les sujets abordés transcendent l’arène trop souvent associée de manière stéréotypée aux femmes. Dans cette optique, l’ouvrage est rafraîchissant : il permet de découvrir des perspectives nuancées et d’apprécier l’aspect multidimensionnel de ces témoins ainsi que la diversité de leurs idées sur l’époque et la manière dont ces femmes voient cette période avec le recul.

Une autre force de Filles de Mai est la quasi-absence de commentaires universitaires. Malgré une disette de substance historiographique dans la préface et la postface, l’idée de ne pas proposer d’interprétations trop précises permet de se concentrer sur les témoignages, ce qui les enrichit grandement. Les nombreux thèmes abordés ainsi que les multiples interprétations – souvent idiosyncratiques – des soulèvements de mai-juin apportent une dimension humaine, presque friable, aux événements de mai-juin. Il ne s’agit pas là de fragilité ou de versatilité, mais plutôt de doute constant, de fascination devant la portée populaire du mouvement, d’espoirs exaucés ou déçus et de contradictions – voir la rubrique intitulée Contradictions12. Les impressions de ces femmes, qu’elles se placent dans la catégorie Amours, Contraception ou encore L’Internationale13, révèlent des contraintes exacerbées par leur statut de « filles » dans un univers toujours impitoyablement sexiste et conservateur. Ainsi, aux fossés générationnel et socioéconomique, aux divers ghettos idéologiques (voir les catégories Féministe et Gauchiste14) s’ajoute évidemment le carcan du sexe et des attentes familiales vis-à-vis de ces jeunes femmes. Cette couche supplémentaire d’aliénation signifie donc que la réalité d’un Avant 68 et d’un Après 68 se révèle diffuse, voire douce-amère15.

Malgré quelques moments d’euphorie et d’optimisme, ces témoignages tendent à confirmer l’impression de lendemains qui déchantent associée aux suites de Mai 68. Ainsi, Christine (alors âgée de quatorze ans et vivant à l’étranger) affirme avoir eu « le sentiment que la marginalité [était] venue après, par l’attachement idéologique à cette période. Je ne me sentais pas marginale, mais dans le temps16. » Chantal (32 ans, enseignante) opine : « Aujourd’hui, alors que tout semble tellement se dégrader, dans le monde et dans la société française, la nostalgie de Mai 68, forcément idéalisé, me paraîtrait bien stérile17. » Quant à Luce (27 ans, documentaliste), elle s’indigne : « Moi qui croyais avoir le droit de ne pas aimer les enfants ni faire des confitures, je dois revoir ma copie à la lumière d’une certaine “psychanalyse” dictatoriale18. » Le fait que cette gueule de bois, ou plutôt dysphorie postrévolutionnaire, soit omniprésente n’a en effet rien d’original en soi. Cependant, Filles de Mai souligne le double échec de cet événement à long terme et la manière dont des femmes âgées de 15 à 54 ans à l’époque l’ont vécu, et ce, malgré les progrès indiscutables de la décennie suivante. Non seulement elles souhaitaient des réformes socioéconomiques, mais aussi elles voulaient abolir le patriarcat. Les rassemblements dominés par les hommes, les voix étouffées des ouvrières et les interdits genrés sont évidemment loin d’avoir disparu19.

Au-delà des questions relatives aux droits des femmes, au féminisme ou au genre, les témoignages reflètent souvent un état de confusion, de moment unique en son genre mais indéfinissable, voire insituable. En premier lieu, la rumeur, les on-dit, le bouche à oreille et les réseaux divers et variés occupent une place de choix dans certains de ces récits. Florence, alors enseignante dans un lycée de Béthune, relate : « Les rumeurs les plus folles circulaient : n’était-il pas vrai qu’avec la mixité toute récente dans les lycées publics, les mœurs se détérioraient et les jeunes filles tombaient enceinte? On le disait en ville20. » Juxtaposées aux réflexions sur le Mai 68 officiel (celui de Bourdieu et de Passeron, des grévistes, des groupuscules trotskistes et maoïstes), des réflexions qui pourraient paraître anecdotiques dépeignent une époque où le détail vient se greffer au mouvement général, à la manière de fragments d’une mosaïque, ou plutôt, de visions impressionnistes de la réalité. Ainsi, Marion (30 ans, normalienne) illustre la réduction des barrières sociales dans la très bourgeoise Aix-en-Provence par l’autorisation implicite de « franchi[r] la porte des “Deux G” [un bar de minets du centre-ville] »21. Pour Luce, le summum de la crise parisienne signifie une pause saine dans une modernité toxique, puisqu’elle a pu jouir, pendant la pénurie d’essence, du « Paris dont [elle a] toujours rêvé […] un Paris sans voitures, un Paris calme et convivial »22. D’autres femmes mettent plutôt l’accent sur le côté mystique, presque millénariste de l’époque23.

Enfin, la confusion trouve aussi sa source dans la nature simultanément vague et transnationale du soulèvement. Outre les évocations de la situation en Angleterre où l’avortement avait été légalisé – avec des restrictions – en 1967, on trouve des comparaisons implicites avec New York et Berlin, autres épicentres du mouvement étudiant24. Cette multiplicité des griefs, voire cacophonie, amène d’ailleurs certaines femmes, comme Marion, à se poser des questions auxquelles elles n’auraient peut-être pas pensé autrement : « Je me souviens qu’il était question du Québec, de partir au Québec […] Elle répétait souvent “le respect des minorités” […] en voilà une idée25! » Cette impossibilité de saisir, de comprendre l’événement dans sa totalité n’est pas exceptionnel, dans la mesure où un moment ne devient vraiment historique que rétroactivement. Mai 68 n’échappe pas à la règle, puisque l’événement s’est construit, circonscrit, dans le temps et l’espace, dans les décennies qui l’ont suivi et même jusqu’à nos jours. Cela peut s’avérer vertigineux, mais le travail de mise en perspective et de réévaluation périodique n’en finit pas avant longtemps, et la profession d’historien ne connaît pas tant d’« affaires classées » que cela. Tout thème peut ainsi facilement devenir un « cold case ». Le « cas » Mai 68, tout particulièrement, la place, l’action et le rôle des femmes dans cet événement, est ainsi loin d’être clos.

Malgré l’originalité du concept et les témoignages précieux qui composent ce livre, il aurait été préférable que la préface et la postface comportent plus de détails sur l’historiographie de Mai 68 et sur la manière dont le rôle des femmes a été présenté et construit depuis ce temps-là, que ce soit du point de vue de ceux et celles qui l’ont vécu ou d’auteurs s’intéressant à l’événement sans y avoir pris part. Alors que des zones d’ombre attendent toujours leurs historiens, on ne peut que se réjouir de la publication de plusieurs travaux de qualité depuis la préface de Perrot, qui regrettait alors que « la dimension du genre [ait] été peu abordée »26. Parmi ces livres se trouvent l’incontournable 1968 : De grands soirs en petits matins de Ludivine Bantigny et l’ouvrage collectif intitulé Changer le monde, changer sa vie27. Dans le milieu universitaire anglophone, où la tradition des études sur le genre et l’histoire des femmes est plus ancrée qu’en France, plusieurs ouvrages de grande qualité ont aussi contribué à éclairer cet aspect de Mai 68. On citera ici le recueil intitulé May 68 : Rethinking France’s Last Revolution ainsi que celui de Lisa Greenwald, Daughters of 196828. Une préface mise à jour aurait donc mieux encadré cette série de témoignages.

Enfin, le choix d’adopter des rubriques uninominales, sans doute choisies selon la récurrence de certains mots clés, est loin d’être idéal et tend à cadenasser les témoignages. Cela limite la portée de plusieurs histoires qui auraient mérité d’être élaborées. Certes, il s’agit là d’un exercice ardu où trouver l’équilibre entre l’étendue du pouvoir décisionnaire des sujets et celui de l’observateur/compilateur relève de la quadrature du cercle. Pour ce qui est de l’échantillonnage, on pourrait aussi facilement reprocher la nature très parisocentrée de l’ouvrage, une faiblesse que Michelle Perrot reconnaît elle-même29. Cependant, ces dernières critiques sont un peu injustes, puisque Monique Bauer a concocté une collection à la fois touchante, bien agencée et instructive. Quant à la surreprésentation de Paris, elle est, d’une part, dictée par la disponibilité des interviewées potentielles, et d’autre part, révélatrice de l’apparente centralité de la capitale dans le Mai français.

C’est justement cette dernière présomption que Le scandale de Strasbourg d’André Bertrand et André Schneider semble, au moins en filigrane, remettre en cause. Ce livre atypique n’épouse pas la structure des études universitaires classiques et ne s’annonce pas non plus comme une compilation de témoignages « neutres ». Entre livre d’art et chronique d’un moment microhistorique rédigé par deux de ses participants, Le scandale de Strasbourg offre un échantillon burlesque et fascinant de la vie estudiantine strasbourgeoise d’avant 1968. Bien que ce récit puisse, à première vue, paraître anecdotique, l’argument de Pascal Dumontier, préfacier et grand spécialiste du situationnisme, selon lequel le scandale de Strasbourg doit être compris comme un « prélude à Mai 68 », est plutôt convaincant30.

Mais avant d’analyser ce livre aussi malicieux que fascinant, il est nécessaire de clarifier certains mots et concepts. En premier lieu, le situationnisme a fait couler beaucoup d’encre depuis la fondation de l’Internationale situationniste (IS) issue de la fusion de plusieurs groupes en juillet 1957. Bien qu’il n’en ait pas été le seul fondateur, le sulfureux Guy Debord est considéré comme son principal théoricien, comme le démontre son texte intitulé Rapport sur la construction des situations…31. Inspirée principalement du mouvement dada et du surréalisme, du côté purement artistique, et de l’anarchisme et du système des conseils ouvriers, du côté purement politique, l’Internationale situationniste se veut un dépassement des tentatives révolutionnaires précédentes. En effet, ces dernières auraient avorté à cause de leur propre bureaucratisation et de la recréation de modes de pensée et de régimes aliénateurs, comme dans les pays totalitaires du bloc de l’Est et dans la plupart des organisations communistes du monde entier. La solution à ce problème, dérivée en partie des idées du philosophe Henri Lefebvre sur l’aliénation au quotidien, passe par la construction de situations :

[C]’est-à-dire la construction concrète d’ambiances momentanées de la vie, et leur transformation en une qualité passionnelle supérieure. [Il faut] mettre au point une intervention ordonnée sur les facteurs complexes de deux grandes composantes en perpétuelle interaction : le décor matériel de la vie; les comportements qu’il entraîne et qui le bouleversent32.

Par le biais de son journal éponyme, l’IS prône donc l’émancipation quotidienne et, la critique de la société de consommation. Ironiquement, cette organisation souffre de la même maladie que la plupart des mouvements de gauche dont elle critique le dogmatisme. Ainsi, les scissions de 1962 et de 1967 contribuent sans doute à affaiblir un mouvement qui a malgré tout joué un rôle lors de Mai 68, avec la création du Conseil pour le maintien des occupations (cmdo). Conscients que leur mouvement tend alors à se transformer en idéologie (ce qu’ils rejettent depuis le début), les membres de l’IS prennent la décision de dissoudre l’organisation en 1972.

Une composante majeure de l’IS et, en particulier, du scandale de Strasbourg, est la notion de « jeu » élaborée par l’artiste Asger Jorn, le créateur du Bauhaus imaginiste, en 1953. Il s’agit ainsi de « libérer la disposition fondamentale des hommes pour le jeu33 » en initiant des actions révolutionnaires ad hoc, des sortes d’anti-happenings non « spectaculaires » (les situationnistes abhorraient l’industrie du spectacle, partie intégrante de la marchandisation qu’ils voulaient détruire). Le scandale, en tant que « situation construite34 » se sépare ainsi du happening, jugé commercial, voire bourgeois. Mais alors que l’IS s’oriente dans une direction moins artistique après la scission de 1962, c’est précisément cette conception ludique de la révolution au jour le jour qui va servir de base aux fomentateurs du scandale de Strasbourg. Ces derniers, à l’origine étrangers aux situationnistes, vont nouer des contacts avec Guy Debord et son entourage dès 1964. Cette alliance entre étudiants d’origines diverses et l’IS résultera dans un scandale dont la nature a, en effet, tout d’un premier Mai 68 en miniature.

Par de nombreux témoignages et sources, l’ouvrage nous plonge dans les rouages du scandale, de ses prémices à ses conséquences. Bien qu’il soit malaisé, au début, de se faire une idée de l’essence même du projet et de ses fins véritables, le lecteur un tant soit peu patient et familier avec l’histoire des gauches européennes parviendra à assembler le casse-tête de cet événement. Pour résumer, le scandale découle directement du « hold-up syndical35 » de mai 1966 quand un groupe, associé aux situationnistes et profitant de l’apathie et des divisions au sein du syndicalisme étudiant, se fait élire à la tête de l’Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg (afges). C’est ainsi qu’André Schneider (l’un des coauteurs) devient président de cette institution. Le scandale, à proprement parler, se déclenche le 22 novembre 1966 – à l’issue de plusieurs mois d’une gestion volontairement catastrophique et d’une fête incessante dans les hauts lieux estudiantins strasbourgeois – quand quelques membres du groupe publient De la misère en milieu étudiant, un véritable pamphlet situationniste particulièrement critique envers l’éducation nationale et la marchandisation du savoir. Pour résumer, ce texte de 28 pages affirme d’entrée de jeu que « l’étudiant en France est, après le policier et le prêtre, l’être le plus universellement méprisé »36. Afin de changer cet état de choses, les étudiants devraient se rebeller contre le « contrôle parapolicier des psychiatres et psychologues »37 en subjuguant leur propre aliénation. Le pamphlet s’achève par une invitation à participer au jeu de la révolution prolétarienne, compris comme « la rationalité ultime de cette fête » et dont le but est de « vivre sans temps mort et jouir sans entraves »38. Ce texte, écrit principalement par le situationniste Mustapha Khayati et par l’idiosyncratique étudiant Daniel Joubert, est accompagné d’une bande dessinée absurdiste d’André Bertrand intitulée Le Retour de la colonne Durutti.

Mais c’est le lendemain que l’incendie (au sens figuré) prend véritablement quand, à l’issue d’une cinglante tirade anti-syndicaliste, André Schneider annonce la dissolution de l’afges. À la suite d’un tapage médiatique dont les situationnistes n’avaient jamais bénéficié auparavant, une coalition d’associations professorales et estudiantines intente un procès au « bureau situationniste »39. La série de procès qui s’ensuit est révélatrice du conservatisme ambiant dans de nombreux cercles académiques et surtout des dimensions politique et morale des chefs d’accusation. Ainsi Maître Baumann, l’avocat des parties civiles, s’indigne que Schneider et ses collaborateurs aient « créé un “comité de réhabilitation de Karl Marx et de Ravachol” » et se soient, dans leur « brochure “outrancière”, violemment attaqué à la religion »40. Mais en fin de compte, « rarement projet révolutionnaire n’aura eu médiateur plus efficace pour exposer en si peu de mots la nature, l’exemplarité, la dangerosité et l’universalité nécessaire de son programme! »41. Comme un symbole, les événements de Mai 68 dispenseront les coupables de leur peine sans pour autant remettre en cause la sentence condamnatoire du tribunal de Colmar.

Bertrand et Schneider offrent un commentaire enjoué tantôt teinté de nostalgie, tantôt acerbe de cette époque et de l’élaboration du scandale. Étayé par des extraits de lettres, dont certaines inédites, d’articles de journaux régionaux et nationaux et de divers documents tirés d’archives privées, Le scandale de Strasbourg revient sur un événement relativement peu connu, dont les acteurs principaux ne sont pas exactement restés dans la postérité avec un P majuscule. Et pourtant, on ne peut s’empêcher de voir, dans ce qui s’est passé dans la métropole alsacienne en 1966–1967, un cocktail surréaliste et prémonitoire de Mai 68. Mais plus que la description colorée de l’événement, c’est l’approche des auteurs, eux-mêmes fomenteurs et participants actifs du scandale, qui fait de ce livre une véritable pépite.

Dès les premières pages, Bertrand et Schneider critiquent résolument le récit dominant, estimant sans doute avec raison que « ni [la genèse du scandale] ni ses péripéties véritables ne sont réductibles à un simple coup manigancé et manipulé depuis Paris par le “stratège” Guy Debord »42. Outre leur intention d’écrire une histoire exhaustive des événements, les auteurs ont pour objectif de donner un récit complet et équilibré concernant le véritable rôle de l’IS dans cette affaire. En effet, ce n’est que deux mois après l’élection des administrateurs de l’afges que s’est décidée la collaboration officielle entre Guy Debord et ce qu’on pourrait appeler le clan des Strasbourgeois43. De plus, le portrait du chef de file des situationnistes n’a rien de bien positif. Il y est décrit comme un tyran peu tolérant envers les initiatives qu’il juge trop indépendantes du dogme de l’IS et envers les personnalités qu’il estime dangereuses. Ainsi, il pousse Daniel Joubert, « éminence grise » du clan, à renier sa foi protestante44. Il faut aussi noter que, à l’exception de Khayati et de Debord lui-même, le scandale est le fait de non-situationnistes45. Enfin, Bertrand et Schneider évoquent la dimension bassement prosaïque de l’intérêt de Debord pour le clan strasbourgeois, qu’il voit comme une ressource, via la caisse de l’afges, pour l’IS, alors en difficulté financière46. Cette ironique cupidité a joué un rôle central dans les suites judiciaires de l’affaire, quand l’exécutif de l’afges a été accusé de détournement de fonds. Bien que signé par deux sources primaires, Le scandale de Strasbourg donne ainsi à voir, via une profusion de documents, les aspects les plus excitants comme les plus sordides de cet événement presque oublié.

Le dernier ouvrage de cette note de lecture, Le Mai 68 des Caraïbes de Romain Cruse, est plutôt atypique dans la littérature sur les mouvements de 1968. Au cours de neuf chapitres, le géographe brosse un portrait concis de la région, de l’après-guerre aux années 1990. Ponctué de digressions colorées et d’anecdotes personnelles, cet ouvrage effectue de nombreux va-et-vient entre les Caraïbes du 20e siècle et le présent, soulignant les continuités entre le développement du néocolonialisme de la guerre froide et la situation de dépendance à laquelle la plupart des pays de cette région font face aujourd’hui. De fait, le livre traite plus de l’application d’un système portoricaniste dans les pays de cette zone-là qu’il ne traite d’une véritable version caribéenne des mouvements socio-estudiantins des années 1960–1970. Ici, le concept de portoricanisation signifie la « “destruction contrôlée de l’économie” entreprise à partir des années 1940 et 1950 […] avec un accroissement notable après le mai 1968 caribéen »47. Plus précisément, il s’agit d’une néolibéralisation, « par invitation » ou « forcée », de l’économie d’un pays48 dont les effets sont typiquement une hausse de la croissance, mais aussi la « captation des profits par une infime minorité, [la] mainmise sur l’économie par des firmes nord-américaines et britanniques, [l’]explosion des inégalités et de la pauvreté, [des] dégradations environnementales, etc. »49. Le Mai 68 des Caraïbes est donc autant un brûlot anticapitaliste qu’une chronique des luttes diverses et variées (et souvent vaines) pour la reconquête du pouvoir politique, social, économique et culturel.

Il serait tentant, au premier abord, de voir Le Mai 68 des Caraïbes comme un long pamphlet anti-impérialiste extrêmement bien écrit et assez solidement documenté. L’ouvrage, qui sort des normes et du ton universitaires, ne manque néanmoins pas de rigueur et de sérieux. Son intérêt principal réside dans ses efforts pour désenclaver le 1968 traditionnel, souvent associé aux mouvements étudiants en Europe et aux États-Unis. Cruse offre ainsi une étude comparée éloquente et lisible des nombreux séismes politiques qui ont secoué les Caraïbes, de Cuba à Curaçao et du Guyana à Porto Rico. On y retrouve les effets les plus nauséabonds de la doctrine Monroe ainsi que les reliques de l’impérialisme classique et du néocolonialisme. Cependant, une question brûlante ne manquera pas de venir à l’esprit d’un lecteur attentif : la plupart des sujets couverts dans ce livre ont-ils véritablement un lien direct avec les événements de mai-juin en France, l’autunno caldo [automne chaud] italien ou encore le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis? La focalisation sur la période 1959–198050 ainsi que les thèmes abordés mènent à la conclusion que le titre du livre et les liens entre les Caraïbes d’après-guerre et Mai 68 sont au mieux indirects et au pire, circonstanciels, dans la plupart des cas étudiés. Les relations avec les États-Unis, le rôle des étudiants, la dimension générationnelle, le facteur colonial, la décolonisation et bien d’autres thèmes restent difficilement comparables avec la situation en Europe et en Amérique du Nord.

Cela amène évidemment à se poser la question des limites de Mai 68 : comment définir ce mouvement? Où s’arrête-t-il vraiment? Ces angles d’attaque conceptuels, centraux dans le livre de Vinen, sont absents de l’analyse de Cruse. Malgré des qualités incontestables, Le Mai 68 des Caraïbes ne parvient pas à justifier les rapports entre tous ces mouvements d’émancipation caribéens et l’arène intellectuelle et politique qui formait la colonne vertébrale – il est vrai ténue et poreuse – des mouvements de contestation à l’échelle internationale. Bien sûr, l’auteur souligne des points de contact évidents tels que la cause « noiriste », les membres caribéens des Black Panthers (Franck Ballack, Michael Witter51), ou encore, la critique constante de l’impérialisme américain. De ce point de vue, ce livre est indiscutablement utile et pourrait ouvrir la voie à des recherches supplémentaires sur les réseaux de contestation internationaux et, en particulier, sur la nature précise des velléités réformatrices dans les Caraïbes.

Malgré des qualités de synthèse et une érudition indiscutables, il semble que le contenu de cette étude ne reflète que partiellement le titre du livre. Il s’agit en effet plus d’un aperçu, certes excellemment rédigé, qu’une analyse à propos de l’aliénation socioéconomique des pays caribéens au temps de la guerre froide, et ce, malgré l’indépendance politique (et, la plupart du temps, illusoire) de nombre d’entre eux. Cette faiblesse n’a sans doute pas échappé à Cruse qui s’ingénie ici et là à établir des parallèles où il n’en existe pas forcément. Ainsi, les Rodney Riots pourraient se comprendre comme le « mai 1968 jamaïcain » tout comme la « “révolution” de 1946 et le virage noiriste » seraient le véritable « mai 1968 haïtien52 ». Ces affirmations sont bien péremptoires et auraient mérité une analyse plus poussée. En outre, l’auteur a, semble-t-il, oublié sa promesse initiale d’expliquer comment le « mai 1968 français [s’est inspiré] largement de la révolution cubaine »53. L’influence du castrisme, et surtout du guévarisme, sur quelques soixante-huitards français, est bien sûr évidente, mais pas aussi proéminente que le laisse à penser Cruse.

En bref, ce livre (qui, soit dit en passant, vaut quand même le détour) a pour principal défaut de vouloir faire correspondre des concepts d’une certaine nature à des moules de formes différentes. L’analyse souffre grandement de l’absence de définition claire de ce qui constitue le mai 68 des Caraïbes. Au moment où, vers la fin de l’ouvrage, le lecteur pourrait enfin croire qu’il assiste à une justification du titre, voilà que Cruse s’engage dans un plaidoyer sommaire sur les jeunes de la région, qui « ne font finalement qu’appliquer la doctrine soixante-huitarde de la liberté, poussée à l’extrême […] [en faisant] ce qu’ils veulent (ils sont libertaires), [en se battant] pour être riches (ils sont néolibéraux), [en jouissant] de l’instant présent (leur libération sexuelle) »54. Se base-t-il là sur sa propre expérience? Il semble en tout cas que tout cela suive une logique fallacieuse. Faire « ce qu’on veut » ne veut pas dire qu’on soit consciemment « libertaire » tout comme « jouir de l’instant présent » ne signifie pas « libération sexuelle » (et surtout pour qui?). Si l’on poursuit ce raisonnement, on peut insérer n’importe quel événement contemporain dans la mouvance de Mai 68, dont la révolution iranienne de 1979, initialement comprise comme émancipatrice dans son combat contre le Shah. Malheureusement, Cruse se montre incapable de trouver des preuves concrètes, basées sur des études substantielles, de l’existence d’un mouvement soixante-huitard conscient dans les Caraïbes de cette époque. 

Une lecture approfondie de ces quatre ouvrages met en exergue plusieurs thèmes et amène le lecteur à s’interroger sur la nature même de Mai 68. En premier lieu, il faut noter que des études de ce type peuvent parfois être sujettes à des comparaisons indubitablement anachroniques avec des révolutions passées ou des mouvements plus récents, comme les Indignados, l’Occupy Wall Street et, en ce moment, le mouvement français des Gilets jaunes. Établir de tels parallèles est évidemment tentan, comme cela a été plusieurs fois le cas par le passé55. De ce point de vue, les historiens sont généralement moins enclins que les politologues à dénicher des types et à localiser des cycles et des liens intertemporels. Cependant, si l’histoire ne se répète pas de manière prévisible, des facteurs déclencheurs similaires peuvent, à des décennies d’intervalle, provoquer des situations similaires. Bien entendu, il faut avant tout prendre en compte les intentions et les fantasmes des acteurs historiques et, s’ils ne sont pas les mêmes, de ceux qui établissent les poncifs d’un récit. Cela entraîne souvent des jeux de rôle superficiels où sont repris les clivages des révolutions passées. Il aurait été intéressant d’effectuer le même compte rendu sur des livres traitant des événements de 1968 publiés au cours de l’année 2019 et de jauger l’impact des séismes sociaux actuels sur ces auteurs. Ceci dit, les ouvrages présents ne sont pas présentistes, bien que Cruse se lance régulièrement dans des tirades sur le néolibéralisme et le néocolonialisme au 21e siècle. Néanmoins, on ne peut pas dire qu’aucun de ces livres ne se soit véritablement rendu coupable du péché d’anachronisme.

En deuxième lieu, et ce, malgré des approches radicalement différentes, tous ces auteurs s’intéressent à la question de l’autorité (dans le sens de « légitimité »). Bien entendu, ils ne l’appréhendent pas de la même manière, mais la centralité même de cette tension plus ou moins explicite concernant la possession interprétative de Mai 68 hante toujours les études et les débats sur ces années-là. L’observation de Sémelin citée dans l’introduction peut évidemment s’appliquer à tout sujet en voie d’historicisation, mais l’ombre accaparatrice de ceux et celles qui ont « vécu » ces événements façonne toujours les perspectives historiennes. Ces témoignages procurent aux historiens une abondance de sources dont ils ne peuvent se plaindre – ce serait un comble ! –, dans la mesure où la diversité des points de vue a beaucoup apporté aux nombreuses analyses publiées depuis le lendemain de Mai 6856. Cinquante ans plus tard, les témoins ont très bien vieilli et nombreux sont celles et ceux qui se remémorent publiquement et régulièrement l’activisme de leur jeunesse. Quelques historiens, tels que Geoff Eley et Sheila Rowbotham, ont admis, voire revendiqué, le poids des luttes de cette époque sur leurs travaux57. D’autres soixante-huitards se sont révélés dans d’autres professions comme celle de romancier. Alors que les écrivains n’ont pas le même ascendant que les historiens dans l’arène des débats, ils demeurent dans la sphère publique et contribuent, parfois très subtilement, à communiquer leurs perspectives sur les années 1960. Parmi les plus connus, citons David Lodge, Cesare Battisti, ou encore, Stieg Larsson58. Toujours est-il qu’il faudra bien un jour que la distance s’établisse (cela viendra, la mort étant un des rares éléments inévitables en histoire), bien que le discours se soit déjà fermement enraciné dans les modulations imposées par les acteurs de Mai 68.

Bien qu’il ne s’étende pas sur le sujet, Vinen souligne tout au long de son étude le pouvoir d’influence des soixante-huitards des années 1970 à nos jours. Il note dans le premier chapitre que les « leading figures in 68 often had a highly developed sense of themselves as historical actors and as people who would one day be the object of historical research… » et ajoute que, en général, les « 68ers have a special attachment to autobiography »59. Quant à la centralité du témoignage, exclusif dans Filles de Mai et dominant dans Le scandale de Strasbourg, sa pérennité dans les années à venir paraît évidente. Bertrand et Schneider n’affectent pas une posture froide, distante, envers leur sujet. Certes, ils s’estiment naturellement compétents pour produire une histoire qui prétend malgré tout à l’objectivité, mais ils ne peuvent s’empêcher (et cela est normal, et assez amusant aussi) de régler quelques comptes ici ou là. D’abord, constatant la maigre historiographie sur le sujet, ils ne se gênent pas pour dire que « tout ce qui a été raconté sur ce scandale et ses acteurs et sur le degré d’implication de l’Internationale situationniste dans celui-ci est resté approximatif, sous-informé ou mensonger. Une sorte d’omerta entoure depuis cinquante ans son histoire réelle60. » De même, les auteurs prennent plaisir à décocher la flèche du Parthe, par exemple cette attaque lancée contre le metteur en scène Lionel Courtot, laconiquement qualifié de « sot », ou encore, cette pique visant la cupidité présumée de Debord, particulièrement intéressé par « la possibilité que la trésorerie syndicale participe au financement de l’IS »61.

De ce point de vue, Filles de Mai se révèle certes moins coloré, mais donne plus à apprécier la richesse des thèmes touchant Mai 68. Bien qu’encadrés par Bauer, les témoignages révèlent un besoin d’exister, voire de s’affirmer au-delà de l’événement en soi, comme en témoigne l’inclusion de la chanson intitulée La fille de Mai de Gisèle Moyroud62. Cependant, là où Bertrand et Schneider s’échinent à établir un récit complet, qui tente de donner au scandale de Strasbourg la place qui lui reviendrait de droit, aucune des femmes de Filles de Mai ne va jusqu’à prétendre avoir fait quoi que ce soit d’exceptionnel. Certaines, comme Chantal, rejettent même toute nostalgie pour cette époque qui n’a pas su produire un monde meilleur63. Également critiques de cette vision romantique, les auteurs de l’ouvrage Le scandale de Strasbourg ne remettent pas non plus en cause l’importance de leur engagement, alors que les témoins de Bauer soulignent le côté improvisé, le flou artistique qui régnait, selon elles, lors des événements de mai-juin. Enfin, Cruse donne régulièrement la voix à ceux qui ont vécu la période 1959–1980 dans les Caraïbes. Ces témoignages proviennent néanmoins de cercles déjà détenteurs d’un certain capital culturel, comme celui d’activistes et de politiciens connus (Walter Rodney, Édouard de Lépine), d’économistes (Taimoon Stewart, John Perkins), d’écrivains (Aimé Césaire, Frantz Fanon), ou encore, d’artistes (Damian Marley, Kolo Barst). À cela s’ajoute l’expérience personnelle de l’auteur qui souligne ainsi les continuités entre les échecs du Mai 68 caribéen et le présent. Bien que ces digressions ajoutent une dimension intéressante au récit et bien que la poésie de Marley et de Laferrière aide à comprendre la remise en cause de la portoricanisation, des témoignages de quelques quidams parmi les soixante-huitards auraient sans doute contribué à solidifier la thèse de Cruse quant à l’appartenance des mouvements de contestation caribéens à la mouvance de Mai 68.

Une autre question brûlante concerne la catégorisation de Mai 68 dans le spectre des soulèvements. S’agit-il d’une série de révolutions plus ou moins réussies ou plus ou moins avortées? Ou plutôt de révoltes dispersées, parsemées de demandes et d’intérêts divers et parfois contradictoires? Cela contribuerait évidemment à provoquer une discussion inadaptée à une simple note de lecture. Il faut néanmoins noter à ce propos que, si l’on s’en tient à ces quatre publications, le label révolutionnaire parfois apposé à Mai 68 s’est atténué au cours des cinquante dernières années. Cela est sans doute dû à l’élargissement spatiotemporel de l’événement qui ne se réfère plus uniquement aux soulèvements et grèves françaises de mai-juin, mais à une ou deux décennies, voire plus. D’où une dilution du caractère jadis exclusivement contestataire de ces mouvements ainsi qu’une élasticité et un manque de cohésion apparent. De plus, il se peut que le glissement progressif et inévitable de la parole historienne et mémorielle des mains des témoins à celles des érudits n’ayant pas connu Mai 68 ait contribué à désacraliser cet événement, à lui donner seulement une importance relative.

Mais si ce dernier point peut s’avérer juste dans certains cas, aucun des témoins du présent échantillon n’insiste pour romancer son expérience ou exagérer l’importance des événements. Dans sa préface pour Filles de Mai, Michelle Perrot observe très justement qu’« aucune [des femmes interrogées] […] ne voit dans Mai 68 une “révolution” au sens classique, mais “une grande tempête aux multiples remous” »64.  Quant au livre de Bertrand et Schneider, il est surtout une œuvre de réhabilitation plutôt qu’une hagiographie. En effet, Le scandale de Strasbourg est peu tendre avec plusieurs militants et intellectuels de cette époque. Il aurait pourtant été tentant de transformer cette « affaire ancienne, en quelque sorte préhistorique »65, en temps de l’innocence, prélude idéal à Mai 68. De ce point de vue, on ne peut que complimenter la plume acerbe des deux auteurs qui parviennent à ressusciter un moment témoin de l’émergence d’une nouvelle gauche étudiante au sens critique aiguisé, créative, et courageusement anticonformiste, sans pour autant prétendre au statut d’étincelle révolutionnaire. Car, si la préface de Pascal Dumontier s’intitule Le tournant moderne de la révolution, Bertrand et Schneider ne se réfèrent qu’à des « révolutionnaires » et se limitent à évoquer une révolution plus projetée que vécue66. De fait, le mot révolution n’apparaît jamais en conjonction avec les événements de mai-juin 1968.

Les deux livres universitaires sont, ce qui n’a rien de surprenant, plus ambigus concernant la nature exacte des soulèvements soixante-huitards. L’approche générale que Vinen a choisie lui permet de distinguer les effets concrets qu’ont eus ces mouvements sur leurs sociétés respectives des traits qu’ils avaient en commun. Par exemple, même s’il ne s’étend pas sur la révolution des Œillets, l’auteur ne l’exclut absolument pas de son ouvrage67. Peu bavard, plutôt frileux même sur le sujet, Vinen n’en distille pas moins quelques indices discrets qui laissent entrevoir un certain scepticisme quand il s’agit d’évaluer le potentiel subversif de la contestation : « In some respects, 1968 produced reform rather than revolution68. » L’auteur souligne aussi les disparités au sein du mouvement étudiant, comme dans le cas britannique : « While the revolutionaries at the lse talked about the overthrow of capitalism, students at King’s plotted japes that involved the college mascot – Reggie the Lion69. » En fait, le seul aspect de 1968 ayant provoqué un changement radical, selon Vinen, est l’accélération de la libération sexuelle qu’il voit comme une « revolution within the revolution »70. Ce qu’il note, et qu’il faut en effet garder à l’esprit, est que l’on ne peut adopter une approche monolithique sur les mouvements contestataires de cette époque et surtout que la plupart de ceux-ci ont subi le retour de bâton de la contre-révolution sans même prendre le pouvoir entretemps. Hormis les victoires d’Harold Wilson en 1964 et 1966, les années 1960 ont vu un virage à droite patent dans la plupart des pays concernés – Wilson lui-même sera battu en 1970, alors que la droite française restera au pouvoir jusqu’en 1981. Aux États-Unis, Nixon gagne l’élection de 1968 et, la même année, les chrétiens-démocrates italiens se maintiennent au pouvoir devant des communistes qui sont, il faut l’admettre, en net progrès. Quant à la République fédérale d’Allemagne, elle tombe entre les mains du Parti social-démocrate (spd), plus progressiste que les chrétiens-démocrates, certes, mais ambivalent pour ce qui est des mouvements étudiants et sociaux71. Cette tiédeur de Vinen à propos de la place des mouvements de mai 68 dans la taxonomie révolutionnaire est donc compréhensible. À sa décharge, ce sujet reste, cinquante ans plus tard, un véritable panier de crabes.

Enfin, Cruse ne s’engage pas non plus dans ce débat. Bien qu’il semble donner sans équivoque le statut de révolution à certains épisodes majeurs de la période, il ne semble pas considérer le niveau de radicalité, ou l’intensité des velléités subversives, comme central aux événements caribéens relatifs à Mai 68. Ainsi, l’auteur qualifie le coup de Grenade de 1979 de révolution, la crise de 1970 à Trinidad-et-Tobago de « révolution » (noter les guillemets) et voit la chute du premier ministre de la Dominique Patrick John comme l’aboutissement d’un « soulèvement villageois » suivi d’une « révolte urbaine »72. Cependant, le lecteur reste sur sa faim, dans la mesure où Cruse ne donne aucune clé conceptuelle permettant de distinguer une révolution d’une « révolution » ou d’une révolte. Se base-t-il sur une évaluation des changements antérieurs et postérieurs au conflit, sur l’impact symbolique des soulèvements ou sur leur succès? Difficile à dire.

Comme observé plus haut, classer ces révolutions caribéennes dans la même catégorie que le Mai 68 en France n’est pas pertinent. Les causes ne sont pas les mêmes, les dynamiques intergénérationnelles sont d’une autre nature, sans parler des relations avec les États-Unis, des questions ethno-raciales et des rapports à l’histoire et à la mémoire. Ainsi, toute tentative de justifier la nature révolutionnaire de ces mouvements, dans leur sens le plus large, s’effondre comme un château de cartes avec chaque tentative de comprendre d’un point de vue global l’un de ces mouvements. Cela est dommage, car Cruse lui-même note la variété des mouvements révolutionnaires dans les caraïbes et établit même une ébauche de taxonomie de ces conflits. Ainsi, il évoque les « révolutions noires73 » à Trinidad, un soulèvement du type « révolution de couleur74 » au Guyana (1963–1964), la « révolution la plus rapide du monde » à Grenade (1979) ou encore « la révolution la plus farfelue » au Suriname (1980)75. Il aurait été intéressant de fouiller un peu plus profondément cette question indubitablement brûlante dans cette région. Si cet aspect du livre est assez réussi, il n’a que peu à voir avec un quelconque Mai 68 caribéen. Cela, l’auteur l’admet implicitement à plusieurs reprises. Dans le cas de Grenade, il affirme que « le mai 1968 […] aura lieu en 1951 »76. Dans celui du Suriname, il voit la grève des enseignants de 1969 comme un « mai 1968 surinamais77 ». Cependant, les détails sur ces événements, qui sont censés constituer le gros de l’étude, ne pèsent pas grand-chose comparés aux pages consacrées à la contre-révolution, à la portoricanisation et aux manipulations américaines et plus généralement occidentales.

Ces quatre ouvrages partagent également d’autres thèmes importants comme les questions générationnelles, le rôle souvent ambigu des syndicats et de la gauche traditionnelle, la coexistence, à divers degrés, de l’américanophilie et de l’américanophobie (surtout de cette dernière dans le livre de Cruse) et l’attention aux symboles, à la géographie des soulèvements, qu’elle soit urbaine, régionale ou globale. Sans surprise, ces thèmes sont récurrents dans la vaste historiographie de Mai 68, et les ouvrages analysés ici démontrent la pérennité de ces sujets. L’autre continuité avec les ouvrages des décennies précédentes se situe dans la place toujours prépondérante accordée aux témoins-auteurs. Cela, loin d’être un mal, est au contraire encourageant, car, tant qu’il y aura des choses à dire sur cette période, il serait dommage de se priver de ces voix-là. Cependant, les livres de Vinen et de Cruse représentent un type de monographie de plus en plus fréquent qui symbolise un tournant qui a longtemps tardé. L’accaparement du champ historique de la résistance par des anciens combattants (évoqué dans le livre de Sémelin) a au moins été tempéré par les grands débats sur Vichy du milieu des années 1970. Pour ce qui est de Mai 68, le nombre élevé des acteurs et témoins (légitimes ou non), ainsi que la balkanisation des controverses, a créé un corpus dont il est difficile de se détacher cinquante ans après les faits. En fin de compte viendra le jour où les sources orales n’auront rien à ajouter ou, tout simplement, s’éteindront.

Une autre conclusion qui s’impose concerne les limites spatiotemporelles du sujet. Alors que le temps travaille de lui-même aux métamorphoses des sources (accès aux archives, réévaluations, mutations des témoignages), les frontières de Mai 68 (compris ici comme une synecdoque) restent vagues. En premier lieu, et cela est heureux, il reste difficile d’étudier cette époque en se confinant à des études nationales. Même les très franco-français Filles de Mai et Le scandale de Strasbourg soulignent l’impact de modèles ou d’événements étrangers sur la situation dans l’Hexagone. Que l’on prenne en compte l’influence des mouvements pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam, l’intérêt marqué pour la révolution cubaine et le maoïsme ou pour le Printemps de Prague, le sujet résiste aux approches en vase clos. Il est néanmoins important de fixer des limites géographiques à tout sujet, sans quoi toute tendance au changement n’importe où sur le globe peut, par une logique de dominos, se trouver associée à Mai 68. C’est là le problème principal du Mai 68 des Caraïbes qui, malgré ses mérites, peine à lier les bouleversements dans cette région aux événements de Berkeley, de Paris, de Berlin et d’ailleurs.

Pour ce qui est de la chronologie, le point de départ n’est pas vraiment problématique, la Seconde Guerre mondiale représentant un bloc historiographique assez massif pour éviter de s’attarder sur les antécédents d’avant 1940. Il faut néanmoins prévoir, comme le montre le livre de Vinen, la poursuite des débats concernant le terme de la période. Quelques années, peut-être même des décennies, seront nécessaires afin d’y voir plus clair et de parvenir à une périodisation consensuelle. Enfin, et cela est rassurant, la phase de travail de mémoire semble s’estomper pour laisser place à des analyses critiques à froid. Les efforts, souvent artificiels, voire tirés par les cheveux, pour comparer cette époque à d’autres mouvements révolutionnaires sont moins fréquents, comme le montrent les ouvrages analysés dans cette note de lecture. Plus le temps passe, plus l’asymétrie entre 1968 et les bouleversements des siècles passés paraît évidente. En effet, la comparaison entre les spasmes des années 1960–1970 et ceux de périodes antérieures telles que la Révolution française (1789–1794), les Trois Glorieuses (1830), la révolution française de 1848, la Commune de Paris de 1871, ou encore, les soulèvements de 1918–1919 (en Europe centrale) se confine maintenant à des platitudes rhétoriques éculées. Mais ce que l’on doit retenir de cet anniversaire n’est autre que la grande qualité des études récentes sur Mai 68. Les quatre livres couverts ici illustrent la diversité croissante des études sur un sujet dont la popularité perdurera sans doute au cours du vingt-et-unième siècle.


1. Jacques Semelin, Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe (1939–1945) (Paris : Les Arènes, 2013), 376, 379.

2. Voir, par exemple, Christine Fauré, Mai 68 : jour et nuit (Paris : Gallimard, 1998); Chris Reynolds, Memories of May ’68 : France’s Convenient Consensus (Cardiff : University of Wales Press, 2011).

3. Richard Vinen, The Long ’68 : Radical Protest and its Enemies (London : Allen Lane, 2018), 6.

4. Vinen, Long ’68, 25.

5. Vinen, Long ’68, 24.

6. Vinen, Long ’68, 15.

7. On pourra tout de même regretter, malgré une mention du FLQ et des liens entre cette organisation et le régime cubain, l’absence de référence au séparatisme québécois. Voir Vinen, The Long ’68, 22.

8. Vinen, Long ’68, 59.

9. Vinen, Long ’68, 61–67.

10. Vinen, Long ’68, 112, 115, 137–140, 108–110, 202.

11. Vinen, Long ’68, 331.

12. Monique Bauer, dir., Filles de Mai. 68 mon Mai à moi : mémoires de femmes (Lormont : Le bord de l’eau, 2018), 46–50.

13. 13. Bauer, Filles de Mai, 23, 45, 86–87.

14. Bauer, Filles de Mai, 69–73, 74–76.

15. Bauer, Filles de Mai, 28–32, 25–28.

16. Bauer, Filles de Mai, 100.

17. Bauer, Filles de Mai, 99.

18. Bauer, Filles de Mai, 72–73.

19. Bauer, Filles de Mai, 112–113, 80–81.

20. Bauer, Filles de Mai, 97.

21. Bauer, Filles de Mai, 122.

22. Bauer, Filles de Mai, 123.

23. Bauer, Filles de Mai, 95–99.

24. Bauer, Filles de Mai, 21–23, 33, 37.

25. Bauer, Filles de Mai, 120.

26. Bauer, Filles de Mai, 7.

27. Ludivine Bantigny, 1968 : De grands soirs en petits matins (Paris : Seuil, 2018); Olivier Fillieule, Sophie Béroud, Camille Masclet et Isabelle Sommier, Changer le monde, changer sa vie : Enquêtes sur les militantes et les militants des années 1968 en France (Arles : Actes Sud, 2018).

28. Julian Jackson, Anna-Louise Milne et James S. Williams, dirs., May 68 : Rethinking France’s Last Revolution (Houndmills : Palgrave Macmillan, 2011); Lisa Greenwald, Daughters of 1968 : Redefining French Feminism and the Women’s Liberation Movement (Lincoln : University of Nebraska Press, 2018).

29. Bauer, Filles de Mai, 10.

30. André Bertrand et André Schneider, Le scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même (Montreuil : L’Insomniaque, 2018), 9.

31. Guy Debord, Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de l’organisation et de l’action de la tendance situationniste internationale (Paris : Internationale situationniste, 1957).

32. Debord, Rapport sur la construction des situations, 14.

33. André Bertrand et André Schneider, Le scandale de Strasbourg mis à nu par ses célibataires, même (Montreuil : L’Insomniaque, 2018), 17.

34. « Moment de la vie, concrètement et délibérément construit par l’organisation collective d’une ambiance unitaire et d’un jeu d’événements », Internationale situationniste, no 1 (juin 1958), 13.

35. Bertrand et Schneider, Le scandale de Strasbourg, 29.

36. De la misère en milieu étudiant, considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier (Strasbourg : Supplément spécial au no 16 de « 21–27 Étudiants de France », 1966), 3.

37. De la misère, 8.

38. De la misère, 28.

39. Bertrand et Schneider, Scandale, 231–241.

40. Bertrand et Schneider, Scandale, 235.

41. Bertrand et Schneider, Scandale, 233.

42. Bertrand et Schneider, Scandale, 31.

43. Bertrand et Schneider, Scandale, 165.

44. Bertrand et Schneider, Scandale, 174, 75, 143.

45. Bertrand et Schneider, Scandale, 177.

46. Bertrand et Schneider, Scandale, 175–176, 191.

47. Romain Cruse, Le Mai 68 des Caraïbes (Montréal : Mémoire d’encrier, 2018), 364.

48. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 133, 157.

49. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 157.

50. De la révolution cubaine au coup d’État de 1980 au Suriname, dit coup d’État des sergents.

51. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 273, 315.

52. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 292.

53. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 34–35.

54. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 300.

55. Alors étudiant en maîtrise, je me souviens avoir lu la préface d’un recueil de tous les numéros du journal communard Le Cri du peuple (1871), écrite en mai 1968. L’auteur y établit des parallèles évidemment inadéquats entre la Commune et les combats de rue qui faisaient alors rage à Paris. Voir Jules Vallès, Le Cri du peuple (Paris : Les Yeux ouverts, 1968).

56. À ce sujet, voir le livre de Kristin Ross, May 68 and its Afterflifes (Chicago : University of Chicago Press, 2008). Parmi les études « à chaud, » on peut citer Barbara Ehrenreich et John Ehrenreich, Long March, Short Spring : The Student Rising at Home and Abroad (New York : Monthly Review Press, 1969); André Philip, Mai 68 et la foi démocratique (Paris : Aubier-Montaigne, 1968).

57. Vinen, Long ’68, 7.

58. Vinen, Long ’68, 63, 295. Voir aussi Patrick Combes, La littérature et le mouvement de mai 68 : Écriture, mythes, critique, écrivains, 1968–1981 (Paris : Seghers, 1984).

59. Vinen, Long ’68, 7, 9.

60. Bertrand et Schneider, Scandale, 29.

61. Bertrand et Schneider, Scandale, 236, 168.

62. Bauer, Filles de Mai, 151–152.

63. Chantal, dans Bauer, Filles de Mai, 106.

64. Bauer, Filles de Mai, 11.

65. Bertrand et Schneider, Le scandale, 282.

66. Bertrand et Schneider, Le scandale, 88, 233, 243–244.

67. Vinen, Long ’68, 15.

68. Vinen, Long ’68, 160.

69. Vinen, Long ’68, 199.

70. Vinen, Long ’68, 221–248.

71. Vinen, Long ’68, 299–304, 187, 320.

72. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 108, 258, 230–233.

73. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 237.

74. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 98–104. Cruse voit en fait l’agitation anti-gouvernementale qui mène à la défaite de Cheddi Jagan (trop gauchiste au goût des États-Unis) comme le modèle des futures révolutions de couleur. En général, les spécialistes estiment que ces soulèvements débutent avec la révolution, appelée « révolution des bulldozers », en Serbie, le 5 octobre 2000. Pour Cruse, toutes ces révolutions ont en commun un soutien actif de Washington. Voir Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 102 (note 34).

75. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 108, 112–114, 134–139.

76. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 108.

77. Cruse, Mai 68 des Caraïbes, 136.


How to cite:

Alban Bargain-Villéger, “Toujours dans les limbes historiographiques : le cinquantenaire de Mai 68 au travers de quatre livres,” Labour/Le Travail 84 (Automne 2019): 303–323.