Labour / Le Travail
Issue 90 (2022)

Reviews / Comptes rendus

Hélène Choquette, Les Unions, qu’ossa donne?, La bille bleue inc., 2021, 52 min.

Dans le cadre du centenaire de la Confédération des syndicats nationaux (csn : 1921–2021), le documentaire Les unions, qu’ossa donne? explore cent ans de luttes syndicales. Réalisé par Hélène Choquette, narré par Anne-Marie Cadieux et d’une durée d’environ une heure, il présente une facette importante de l’histoire des syndicats nationaux : les grèves importantes dans l’histoire sociale du Québec et qui ont fait avancer la cause syndicale et ouvrière. La pertinence et le message général du documentaire visent toutefois l’ensemble du mouvement syndical. 

Le documentaire est soutenu par un sérieux corpus de photographies et d’enregistrements d’archives. L’ambiance sobre et noire dans laquelle ils sont présentés permet à l’auditoire de cerner la portée des luttes ouvrières et rappelle que, en plus de leur importance capitale, elles ne sont pas toujours des moments de réjouissance pour ceux et celles qui les font. Un autre aspect qui apporte beaucoup de crédibilité au documentaire est son panel impressionnant et pertinent d’historiennes, d’historiens, de syndicalistes et de sociologues. Ces spécialistes, bien sélectionnés pour leur compétence sur les nombreux sujets couverts par le documentaire, apportent tout le crédit nécessaire à un solide récit historique. Pour ne nommer que quelques panélistes : l’historien Jacques Rouillard; l’historienne Denyse Baillargeon; le sociologue Jean-Philippe Warren; et les syndicalistes Gérald Larose, Lucie Dagenais et Claudette Carbonneau. Cette dernière est la première et seule femme à la tête de la csn, entre 2002 et 2011. Mentionnons également la place octroyée à une relève historienne, représentée dans ce panel par Kathleen Durocher. 

La ligne directrice suivie par le documentaire parcourt les grèves importantes menées par les syndicats nationaux catholiques, qui y sont principalement représentés. L’œuvre suit donc les débuts du syndicalisme catholique, accepté à partir de l’encyclique Rerum Novarum de 1891, et commence avec les luttes des allumettières de Hull au début du xxe siècle. Cette entrée en matière annonce les premières campagnes des syndicats catholiques et la fondation de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (ctcc), mais aussi la place que prendront les travailleuses et les militantes dans le documentaire. Parmi les arrêts de travail évoqués, la grève du textile et du chantier naval de Sorel de 1937, les grèves des pâtes et papiers de 1943, l’importante grève d’Asbestos de 1949, la grève de Dupuis Frères de 1952, la grève illégale des infirmières de Sainte-Justine de 1963, la grève générale de 1972, la grève de l’amiante de 1975 et la grève de la Robin Hood de 1977 sont remises en valeur. La focale, tournée sur l’acte de faire grève, rappelle l’indispensabilité des syndicats et de l’action collective pour engendrer la solidarité et exercer un rapport de force contre le mépris d’un patronat qui utilise tous les outils à sa disposition pour contrecarrer les efforts de syndicalisation : briseurs de grève, refus de reconnaître les syndicats, tribunaux, etc.

Certaines étapes importantes de l’histoire du Québec, marquantes pour la csn et le mouvement syndical, sont aussi présentées dans ce tour d’horizon du vingtième siècle. Soulignons la crise économique de 1929, le duplessisme et son antisyndicalisme, la Seconde Guerre mondiale, la radicalisation de la csn des années 1960 et le tournant néolibéral des années 1980. À partir des années 1960, la place laissée aux autres centrales syndicales est légèrement plus grande, notamment en raison des fronts communs des années 1970 et du tournant néolibéral. Ce dernier, le documentaire ne manque pas de le présenter comme le début d’un repli difficile pour le syndicalisme. On ne peut s’empêcher d’y trouver une légitimité supplémentaire à la nécessité du documentaire. La répression des grèves du secteur public des années 1970 et 1980 à l’aide de lois spéciales pour forcer le retour au travail et l’incapacité du mouvement à s’adapter à la désindustrialisation et au marché du travail atypique incarnent les enjeux majeurs des quarante dernières années. Le rôle des femmes prend aussi une place notable dans le documentaire. De la syndicalisation des allumettières, les premières syndiquées au Canada, à la marche Du pain et des roses de 1995, en passant par le travail des militantes Léa Roback et Madeleine Parent, un rappel important est fait sur une partie de la contribution des femmes au mouvement syndical.

Quelques omissions sont dommages dans ce récit historique du syndicalisme. D’entrée de jeu, Jean-Philippe Warren reprend le titre du documentaire et pose la question : « les unions qu’ossa donne? Ça donne de meilleures sociétés ». Évidemment, nous ne contredisons pas cela. En revanche, l’histoire du mouvement syndical et son existence même ne se résument pas qu’à l’acte de faire grève. Bien que ce dernier soit la seule façon d’exercer un réel rapport de force contre les employeurs et que l’alliance des forces sociales contre l’adversité soit la base du mouvement syndical, les syndicats ont un impact certain sur d’autres aspects de la vie sociale et collective. Il aurait été pertinent par exemple de démontrer l’effort des syndicats pour revendiquer de meilleures politiques sociales. Certaines d’entre elles sont l’objet de revendications soutenues de la part des syndicats, notamment des syndicats catholiques. Pensons à la Loi d’extension des conventions collectives de 1934, l’assurance-chômage, les pensions de vieillesse et la Loi des relations ouvrières, l’une des plus importantes législations du travail du xxe siècle au Québec. L’historiographie fait la démonstration des efforts déployés par les syndicats nationaux et internationaux en cette matière pendant tout le xxe siècle. Les revendications de ces derniers entre 1897 et 1930 font d’ailleurs l’objet de la dernière étude de Jacques Rouillard (2020).  Conséquemment, il aurait aussi été pertinent de démontrer l’effort des syndicats pour tenter de préserver l’ensemble des régimes normatifs relevant du droit du travail et de la sécurité sociale en cours de démantèlement au Québec et en Occident depuis les années 1980. C’est aussi de cette façon que les syndicats aident à construire de meilleures sociétés, en se positionnant comme un point de convergence des forces ouvrières et sociales. L’apport du syndicalisme catholique chez les infirmières à partir des années 1930 est aussi une omission notable. Des syndicats affiliés à la ctcc ont initié les premiers réels efforts de syndicalisation de ce secteur. Il aurait été également intéressant de souligner l’apport d’une femme importante qui a fédéré les syndicats d’institutrices rurales sous une bannière nationale : Laure Gaudreault. Finalement, la Seconde Guerre mondiale est un moment effervescent de luttes, de revendications salariales et de poussées du syndicalisme sur lequel le documentaire passe peut-être trop rapidement. Les spécialistes invités ne manquent toutefois pas de souligner qu’il s’agit d’un moment crucial de l’histoire du mouvement syndical québécois. Il faut mentionner également que la recherche historique sur les relations de travail pendant cette période au Québec est encore peu développée. L’histoire des syndicats, c’est donc l’histoire des luttes ouvrières dans les milieux de travail, mais aussi de leurs revendications pour une société plus juste. Le message du documentaire en ce sens est clair et positif. En revanche, la démonstration aurait pu être davantage convaincante avec une présentation plus large de l’action syndicale.

Les unions, qu’ossa donne? demeure néanmoins un documentaire excellent et surtout nécessaire, puisqu’il rappelle l’importance de la lutte pour l’avancement des conditions pour lesquelles nous travaillons et l’impact positif qu’elle peut avoir sur la collectivité.

Renaud Béland

Université du Québec à Montréal


DOI: https://doi.org/10.52975/llt.2022v90.0015.