Labour / Le Travail
Issue 93 (2024)
Article
« We Can’t Find a Basis for Unity but We Feel We Should » : conflits et sororité autour des conférences indochinoises qui se sont tenues au Canada en 1971
Résumé : Organisées au printemps 1971 pour dénoncer l’intervention américaine au Vietnam, les conférences indochinoises constituent l’une des plus importantes tentatives de coalitions féministes de l’époque. L’événement incarne le projet de bâtir une sororité globale. Bien qu’abondamment critiqué dans l’historiographie, cet idéal est rarement analysé dans toute son ambiguïté : cet article propose donc d’historiciser la sororité et de mettre en lumière la complexité de ses usages politiques. Tout en reconnaissant l’importance des conflits entourant ce projet, nous souhaitons justement comprendre pourquoi, malgré tout, celui-ci s’impose comme cadre de référence partagé par une si grande diversité de militantes au tournant des années 1970.
Cette relecture des conférences indochinoises permet de proposer une définition plus souple de la sororité globale : les discours sur la question reflètent les tiraillements d’un mouvement mû par l’urgence d’articuler les différentes subjectivités des femmes pour organiser une opposition massive et efficace à la guerre du Vietnam. La sororité sert ainsi de cadre de référence fédérateur suffisamment malléable pour permettre à diverses conceptions du féminisme de coexister et de s’entrechoquer. Elle permet ainsi de baliser un terrain à partir duquel une solidarité féministe pluraliste et débattue peut se développer.
Mots clefs : Féminisme, internationalisme; solidarité, sororité globale; anti-impérialisme, tiers-mondisme, Guerre du Vietnam, décolonisation
Abstract: Organized in the spring of 1971 to denounce American intervention in Vietnam, the Indochinese conferences constitute one of the most important attempts at feminist coalitions of the time. The event embodies the project of building a global sorority. Although abundantly criticized in historiography, this ideal is rarely analyzed in all its ambiguity: this article therefore proposes to historicize sorority and highlight the complexity of its political uses. While recognizing the importance of the conflicts surrounding this project, we wish to understand why, despite everything, it emerged as a frame of reference shared by such a wide diversity of activists at the beginning of the 1970s.
This rereading of the Indochinese conferences makes it possible to propose a more flexible definition of global sorority: the speeches on the question reflect the tensions of a movement driven by the urgency of articulating the different subjectivities of women in order to organize a massive and effective opposition to the Vietnam War. Sorority thus serves as a unifying frame of reference that is sufficiently malleable to allow various conceptions of feminism to coexist and collide. It thus makes it possible to mark out a terrain from which a pluralist and debated feminist solidarity can develop.
Keywords: Feminism, Internationalism, Solidarity, Global Sisterhood, Anti-imperialism, Third-worldism, Vietnam War, Decolonization
En avril 1971, deux vastes conférences indochinoises sont organisées à Toronto et à Vancouver. Dans chaque ville, environ six cents féministes canadiennes et états-uniennes sont réunies durant une semaine pour organiser une opposition féministe à la guerre du Vietnam. En tant que pays officiellement neutre dans le conflit, le Canada constitue un lieu stratégique de rencontre entre les femmes vietnamiennes – interdites d’entrée aux États-Unis – et celles d’Amérique du Nord. Une délégation de six femmes indochinoises1 s’y rend donc pour rencontrer des féministes radicales, des collectifs lesbiens, des membres du mouvement chicana et du mouvement Red Power, des militantes des Black Panthers, des membres du groupe pacifiste, Voix des femmes (vdf), ainsi que des femmes responsables de groupes de soutien aux déserteurs états-uniens2. Les déléguées réunies au Canada se donnent un objectif ambitieux : unir les femmes du monde entier pour lutter sur tous les fronts contre la domination capitaliste, impérialiste et patriarcale des États-Unis. Pour les militantes de l’époque, ce projet s’incarne dans l’idéal phare de la sororité globale.
Les deux conférences de 1971 ont intéressé plusieurs historiennes des féminismes, puisqu’il s’agit d’un cas d’étude particulièrement éloquent pour étudier de nombreuses divisions qui apparaissent à l’époque. Dans ses travaux pionniers sur l’événement, Judy Wu identifie trois « factions3 » – les femmes pacifistes, les membres du Mouvement de libération des femmes (mlf) et les féministes tiers-mondistes – qui peinent à s’entendre lors de l’événement4. L’autrice met en lumière trois axes de tension qui divisent les participantes : le racisme, la sexualité5 et les divisions nationales. Pour plusieurs historiennes, ces antagonismes marquent l’échec du projet de sororité. Dans son analyse des conflits entre les féministes canadiennes et américaines durant l’événement, Candice Klein en vient à ce constat pessimiste :
The viwc [Vancouver Indochinese Women’s Conference] reflects the limitations of international collaborations built on the shaky ideological grounds of “sisterhood”. […] Sisterhood failed to unite women on a global scale because it ignored the inequalities and fundamentally different lived experiences of women, and the viwc exemplifies the conflict that ensued6.
Au banc des accusés, figure l’idéal de la sororité : comprise comme une volonté d’unifier les femmes dans une communauté homogène et exempte de tensions, cette dernière est présentée comme un projet inadéquat qui, en raison de ses angles morts, aurait causé l’échec des efforts de coalition.
Ces critiques historiographiques s’inscrivent dans le cadre d’une dénonciation plus large de la sororité comme projet politique au sein d’une littérature féministe inspirée par deux courants : le Black feminism (féminisme noir) et le féminisme postcolonial. Depuis les années 1980, l’idée d’une sororité globale y est dénoncée en raison de son caractère homogénéisant, de son incapacité à rendre compte de la position des femmes dans les rapports sociaux de race ainsi que de son déni des inégalités liées à l’héritage colonial7. Dans la foulée de ces critiques, les appels à revisiter l’histoire des solidarités féministes transnationales se multiplient au Canada à partir des années 2000. Plusieurs textes en appellent à dépasser les approches qui célèbrent la sororité pour analyser les contradictions générées par une distribution inégale du pouvoir entre les femmes8.
Si ces critiques permettent de souligner avec justesse les nombreuses tensions qui imprègnent le mouvement au tournant des années 1970, elles risquent toutefois de fossiliser une vision caricaturale de la sororité et d’évacuer la complexité de ses usages politiques9. Elles peuvent donner l’impression d’un féminisme d’abord étriqué et homogène, uniquement tourné vers la contestation du patriarcat, qui n’aurait su intégrer la question des inégalités entre femmes qu’à partir des années 1980. Pour la politologue Leela Fernandes, ces critiques contribuent à la construction d’un métarécit qui renforce l’hégémonie du féminisme blanc : la contribution des féministes de couleur est réduite à des demandes d’inclusion au sein d’un féminisme universaliste d’abord construit par et pour les femmes blanches10. Nous risquons ainsi d’oublier qu’au tournant des années 1970, de nombreux mouvements féministes – et souvent antiracistes – formulent des réflexions complexes sur la question de la différence et des inégalités entre les femmes : le cas des conférences indochinoises montre bien que de nombreuses militantes des marges – tant au Canada et aux États-Unis qu’au Vietnam – participent pleinement à la construction d’un projet de sororité globale contesté et débattu11. Leurs réflexions spontanées émergent hors de toute structure centralisée qui dicterait les fondements d’une sororité univoque et unidimensionnelle; cet idéal demeure dès lors sujet de débats et d’interprétations multiples.
Dans ce contexte, nous croyons qu’il faut éviter de présenter la sororité comme une notion stable ayant une signification universelle clairement définie a priori et qui aurait donc pu réussir ou échouer. Cherchant à nous dégager d’une problématique de l’échec qui repose sur une réification de la sororité, nous souhaitons plutôt historiciser ce projet pour comprendre l’intérêt qu’il revêt pour les militantes de l’époque : quelles conceptions de la sororité circulent dans les réseaux féministes de l’époque? Comment les discours sur la question sont-ils construits? Pourquoi ce projet connaît-il un si grand succès au tournant des années 1970, en dépit des évidents et virulents conflits qu’il suscite? Reconnaissant l’importance des tensions et des différends entourant l’idée d’une sororité globale, nous souhaitons justement comprendre pourquoi, malgré tout, celle-ci s’impose comme cadre de référence partagé par une si grande diversité de militantes.
En nous concentrant sur le travail de négociation politique qui s’opère dans le cadre d’une politique de sororité, nous constatons que chaque composante du mouvement fabrique son projet politique en interrogeant les visions concurrentes proposées par ses sœurs. Cette approche nous permet de faire le récit de tendances féministes diverses qui se construisent dans et par le travail de solidarité. Nous entendons ainsi nous dégager des analyses qui perçoivent les conférences comme le théâtre d’affrontements entre des franges distinctes, préexistantes à l’événement. En plus d’essentialiser et de masquer l’hétérogénéité interne de chaque groupe, ces analyses sont inexactes sur le plan historique. Judy Wu a déjà formulé cette mise en garde au sujet du féminisme tiers-mondiste : elle rappelle que, bien plus qu’un groupe prédéfini, ces militantes forment une catégorie politique « in the process of being constructed12 » au moment des conférences indochinoises. Poursuivant cette réflexion, nous souhaitons montrer que toutes les tendances en présence représentent des constructions en formation au tournant des années 1970 plutôt que des catégories préexistantes. Contrairement à l’analyse de Wu, qui tend à isoler chaque faction et à exagérer l’étanchéité des frontières entre les franges du mouvement, nous souhaitons insister sur l’importance des passages, des mises en commun et des fertilisations croisées entre chaque groupe.
En historicisant l’émergence de ces nouvelles tendances féministes, nous cherchons par ailleurs à compléter une historiographie canadienne récente dans laquelle nous avons surtout tenté de reconstituer des généalogies militantes dans la longue durée. La résurgence féministe des années 1970 y est souvent perçue comme l’héritage d’un long processus de politisation des femmes au sein des mouvements pacifistes et maternalistes13. Aux yeux des théoriciennes d’un « long women’s movement », cette résurgence n’a même rien d’exceptionnel et se fond dans une très longue tradition de résistances féministes14. Cette insistance sur la continuité peut néanmoins créer l’illusion d’un féminisme qui se développe de façon linéaire : elle tend à diminuer la spécificité du contexte global propre au tournant des années 1970 pour expliquer l’évolution du mouvement.
En réponse à ces tendances, nous entendons ici proposer une « histoire horizontale » des formations politiques15. Nous faisons ainsi le pari que, en dépit de ses divisions, chaque cohorte militante jouit d’une certaine cohérence, puisqu’elle se construit en réaction à un ensemble d’enjeux et de préoccupations partagés et historiquement spécifiques. Cet article permet donc de compléter une histoire verticale des féminismes qui, si elle permet de rendre compte de luttes complexes et continues, peine néanmoins à réfléchir au mouvement féministe dans sa globalité et à identifier des points tournants dans sa trajectoire historique. Elle court ainsi le risque de « divorce each [group] from its complex relationship with the others, and from its own position in history16 ». Pour éviter cet écueil, nous nous intéressons aux relations complexes qu’entretiennent les divers sujets du mouvement féministe durant la turbulente période de la guerre du Vietnam. Par notre analyse des usages de la sororité lors des conférences indochinoises, nous entendons capturer la riche dynamique qui nourrit la construction d’un féminisme pluriel à cette époque17.
Unies contre la guerre : imaginer et bâtir des solidarités féministes
Plusieurs travaux récents ont permis d’entamer ce travail d’historicisation de la résurgence féministe canadienne de la fin des années 1960 en démontrant que cette effervescence est profondément enchevêtrée à l’histoire de la guerre froide et de la décolonisation, ainsi qu’à celle d’autres mouvements sociaux associés à la nouvelle gauche : par exemple, les mobilisations au sujet de la guerre du Vietnam sont partie intégrante de l’expérience politique des féministes canadiennes de l’époque18 . Les militantes développent leur pensée et leurs pratiques féministes en échangeant entre elles sur les théories anti-impérialistes d’une nouvelle gauche inspirée des mouvements décoloniaux et mobilisée contre l’intervention au Vietnam. Partant de ce constat, nous croyons nécessaire de situer la popularisation de la sororité dans ce climat social et géopolitique tendu : l’étude du processus d’organisation des conférences indochinoises permet de contextualiser la formation des différents collectifs impliqués dans le projet, de mettre en lumière les mécanismes qui les poussent à s’allier et d’historiciser leurs réflexions sur la solidarité féministe.
Diplomates du peuple vietnamiennes et pacifistes canadiennes : naissance d’une solidarité
Depuis le début de la décennie 1960, le territoire vietnamien est le théâtre d’un affrontement entre les forces communistes et capitalistes : le Front national de libération du Vietnam du Sud (fnl), soutenu par le régime communiste du Vietnam du Nord, mène une guérilla contre le régime libéral de Diem établi à Saigon et supporté notamment par les États-Unis19. Le Front vise la réunification du Vietnam du Sud avec le Nord communiste; il dépeint cette lutte comme un combat pour la libération du Sud face à la domination impérialiste états-unienne, dans la continuité des efforts de décolonisation. Les tensions indirectes entre les forces communistes vietnamiennes et l’Administration américaine se transforment en conflit ouvert à partir de 1965 : dans une vaste offensive contre-révolutionnaire, l’armée américaine déclenche l’opération Rolling Thunder et bombarde massivement les territoires vietnamiens, laotiens et cambodgiens dans l’espoir de déstabiliser les réseaux de guérilla opposés à Saigon20. La violence de l’opération secoue le monde entier.
Confronté à l’enlisement du conflit et aux dévastations causées par les bombardements, le Parti des travailleurs du Vietnam (Lao Dong) consacre officiellement, lors de son assemblée générale de 1967, l’ouverture d’un front diplomatique21. Il lance une campagne de diplomatie populaire mobilisant des organisations de masse, des syndicats, des artistes et des membres de la communauté intellectuelle vietnamienne. L’objectif est simple : stimuler les mouvements d’opposition à l’intervention américaine. Hanoi espère que la pression de la société civile forcera Washington à pondérer son intervention militaire, donnant ainsi un avantage stratégique aux forces communistes sur le terrain et lors de futures négociations22. À terme, cette stratégie doit contribuer, selon ses architectes, à la victoire militaire des forces de libération du Vietnam du Sud et à la réunification avec le nord communiste. Dans le cadre de cette campagne, une mission importante est assignée à deux organisations féminines : l’Union des femmes vietnamiennes, une organisation de masse fondée par le Parti des travailleurs du Vietnam, et son homologue sud-vietnamienne, l’Union des femmes pour la libération nationale23. Hanoi finance ces groupes afin qu’ils établissent des relations avec les mouvements féministes en Amérique et en Europe24.
C’est dans ce contexte que l’Union des femmes nord-vietnamiennes entre en contact avec le bureau national du groupe Voix des femmes25. Fondée en 1960 par des pacifistes inquiètes face à la menace d’une guerre nucléaire, l’organisation compte environ 3 000 membres actives qui militent en faveur du désarmement26. Prônant la coopération internationale comme moyen d’adoucir les tensions géopolitiques, l’association développe durant la décennie un vaste réseau de solidarité qui lui permet d’entretenir des liens d’amitié avec diverses organisations du bloc communiste27. Ces réseaux permettent à l’Union des femmes vietnamiennes d’entrer en contact avec Kay MacPherson, présidente du groupe vdf. L’organisation l’invite pour une visite de solidarité de dix jours en République démocratique du Vietnam. MacPherson accepte l’invitation et s’y rend l’année suivante, en compagnie de sa collègue québécoise, Claire Culhane28. Cette visite permet aux deux femmes de créer des liens d’amitié avec les représentantes de l’Union des femmes vietnamiennes. Elles mettent alors sur pied un autre projet : celui d’organiser la venue d’une délégation de femmes vietnamiennes au Canada.
Le projet se réalise durant l’été 1969. Trois femmes représentant l’Union des femmes vietnamiennes et l’Union des femmes pour la libération nationale se rendent au Canada29. Les organisatrices canadiennes constatent rapidement que leurs invitées souhaitent profiter de la visite pour créer des liens de solidarité au-delà des cercles restreints du groupe vdf. Elles s’intéressent également aux jeunes mouvements anti-impérialistes qui émergent alors et mobilisent de larges pans de la société civile contre l’intervention américaine au Vietnam et contre la conscription. Le bilan de la visite témoigne de l’intérêt de la délégation vietnamienne à l’égard de ces groupes : « Everywhere they went the Vietnamese wanted to talk to young people, Canadians and Americans. They met many draft dodgers and deserters30. » Pour répondre à ces demandes, le groupe vdf organise une journée de rencontre à North Hatley, lors de laquelle les femmes vietnamiennes rencontrent une centaine de femmes canadiennes et états-uniennes, dont les membres du jeune collectif Bread and Roses 31 fondé durant l’été 1969 par des femmes bostonnaises32.
Pour la plupart blanches, ses militantes sont issues de la classe moyenne et ont reçu une éducation supérieure. Elles ont fait leur éducation politique en militant au sein du mouvement étudiant, du mouvement des droits civiques et contre la guerre du Vietnam. Leur collectif nait de réunions féminines organisées pour partager leur expérience du sexisme dans les organisations de la nouvelle gauche. Au fil de leur discussion, elles en viennent à identifier la domination masculine comme un système de domination distinct, et conviennent de la nécessité de s’organiser de manière autonome. Le groupe Bread and Roses est ainsi dédié à la « libération des femmes ».
Les militantes de Bread and Roses sont galvanisées par leur rencontre avec la délégation vietnamienne à North Hatley. L’une d’entre elles témoigne de l’intense lien de solidarité qui l’unit, selon elle, aux femmes révolutionnaires du Vietnam :
It wasn’t sentimental humanitarianism like those stories about Germans and French during ww ii. It wasn’t because we were all just people: it was because we were comrades in the same fight and because we make a difference ‒ not to their being able to resist and fight but to how the rest of the world views the war, to how much the administration can dare, to what will happen in the world revolution33.
Au terme de leur rencontre avec les diplomates du peuple vietnamien, les militantes bostonnaises sont convaincues que les femmes canadiennes et états-uniennes ont une contribution unique à apporter à la lutte révolutionnaire : en consolidant un mouvement efficace de solidarité avec le Vietnam, elles peuvent contribuer à pondérer l’intervention de l’Administration américaine. Elles participeraient ainsi aux efforts planétaires en vue de la libération anti-impérialiste. Motivées par ce nouvel objectif, les participantes de la rencontre de North Hatley décident de planifier la venue d’une seconde délégation de plus grande envergure. On prévoit la tenue de vastes conférences nord-américaines : les femmes indochinoises pourraient y rencontrer les membres de diverses organisations féminines et féministes. C’est ainsi que naît le projet des conférences indochinoises de 1971.
Pour organiser l’événement, le groupe vdf approche d’autres collectifs de jeunes féministes, similaires à Bread and Roses, qui revendiquent leur appartenance au Mouvement de libération des femmes (mlf) naissant. Parmi eux figurent le Women Anti-imperialist Collective de Washington et les collectifs Women’s Lib de Montréal et Toronto34. En octobre 1970, des représentantes de ces trois groupes se rendent à Budapest en compagnie de déléguées du Bread and Roses et de l’organisation vdf pour rencontrer une délégation de femmes indochinoises et planifier le projet de conférences au Canada35. L’Union des femmes vietnamiennes est catégorique : elle souhaite renforcer ses liens avec le plus vaste éventail possible de groupes féminins et féministes nord-américains dans l’espoir de consolider un mouvement de masse opposé à l’intervention états-unienne. À leur retour de Budapest, les déléguées canadiennes et états-uniennes se font les porte-paroles de cette demande. L’une d’entre elles résume leur rencontre ainsi :
I hope lots of women will be able to meet the Vietnamese women and will work on making the conferences possible. Not only for what the Vietnamese can teach us and for how they can inspire us, but for how we can work together to fight America here36.
À leurs yeux, la conférence devrait surtout servir de prétexte à la construction d’un vaste contre-pouvoir de la société civile, capable d’attaquer de l’intérieur l’empire américain. C’est ainsi qu’est entamé un important travail de réseautage et de recrutement afin d’inviter le plus grand nombre de collectifs possible aux conférences.
Le Mouvement de libération des femmes et les conférences : en quête d’une solidarité à inventer
Les collectifs du mlf voient d’un bon œil ce projet de coalition. Dans les pages du Montreal Women’s Liberation Journal, certaines militantes font part de leur enthousiasme :
When we recently discovered that a group of North Vietnamese women would be visiting Canada in October, and that they had expressed specific interest in getting together with Women’s Liberation, it seemed that this would be a great opportunity to try to bring women together from as many cities and countries as possible. […] Hopefully, what would come out of this conference would be a basis of solidarity and communication on which to build a more together and politically effective women’s movement37.
À leurs yeux, le processus d’organisation est aussi, sinon plus, important que les conférences elles-mêmes. Les organisatrices sont conscientes qu’un nombre limité de femmes pourront participer aux rencontres, mais elles espèrent tout de même que les efforts d’organisation, de réseautage et de mobilisation nécessaires à la réalisation d’un tel projet puissent toucher l’ensemble du mouvement des femmes nord-américain38. Elles perçoivent ce processus comme l’occasion d’ouvrir un espace de débat en vue de renforcer leurs liens de solidarité, de préciser leurs objectifs et de lutter contre l’isolement des collectifs locaux.
Ces efforts sont d’autant plus nécessaires que le mouvement demeure, au tournant des années 1970, diffus et fragmenté. Dans sa monographie, Finding the Movement, l’historienne américaine Anne Enke décrit bien le caractère paradoxal d’un mouvement qui est à la fois partout et nulle part :
The phrase “women’s liberation” was in the airwaves, on the streets and on the shop floors, in schools and the halls of government, in kitchens and in bedrooms throughout the United States. Everywhere, it seemed, women were resisting gender roles and their relegation to “second place” in a society structured around binary gender divisions that seemed to privilege men in virtually every arena. Yet many people who had heard of the women’s movement did not know where, literally, to find it39.
Le mouvement de libération des femmes (mlf), malgré sa popularité, demeure au tournant des années 1970 un phénomène ambigu aux frontières floues : il réfère à une multitude d’initiatives spontanées et de collectifs informels, sans mandat clair, se formant spontanément et se dissolvant souvent rapidement. Bien qu’ils revendiquent tous leur appartenance au mlf, ces groupes ne sont liés par aucune organisation formelle. Le jeune mouvement ne dispose ni d’une infrastructure solide, ni de canaux de communications permettant de coordonner ses efforts, ni d’un projet politique clairement défini.
Dans ce contexte, si le projet d’une coalition féministe est enthousiasmant et prometteur, il s’annonce également ardu. Les membres des quatre collectifs responsables d’organiser l’événement l’écrivent d’ailleurs elles-mêmes en ces mots : « There should be some unity to these groups, but how? […] Even basic communications with sisters in other cities is lacking40. » Pour s’attaquer à ce défi, les organisatrices des conférences indochinoises mettent au point une rencontre préparatoire à Baltimore. Grâce à leurs réseaux de contacts au sein de la nouvelle gauche, elles invitent des représentantes de quatorze villes nord-américaines. Elles établissent alors un plan de mobilisation et divisent le territoire canadien et états-unien en sous-régions. Chaque collectif présent se voit attribuer une tâche de réseautage et d’invitation des collectifs présents sur son territoire41. Parmi les groupes à inviter aux conférences, les organisatrices incluent notamment des groupes d’étudiantes, des groupes de soutien aux déserteurs, des groupes de défense des droits des chômeuses, des groupes lesbiens et des collectifs féministes.
Pour satisfaire les demandes de leurs invitées indochinoises, les organisatrices cherchent tout particulièrement à créer des liens avec une catégorie de femmes avec qui elles entretiennent peu de contacts : les femmes de couleur provenant des mouvements de libération antiracistes en Amérique du Nord. Leur présence est extrêmement importante aux yeux de l’Union des femmes vietnamiennes. Dans le cadre de leur stratégie de diplomatie populaire, les autorités nord-vietnamiennes souhaitent tout particulièrement construire des alliances avec la communauté afro-américaine, perçue comme une force politique ayant le potentiel de déstabiliser les États-Unis42. L’Union des femmes vietnamiennes insiste donc, dès les premiers préparatifs des conférences, pour que soient incluses des femmes du Black Panther Party (bpp) dans le projet43. Les organisatrices canadiennes et états-uniennes – qui constituent, selon leurs dires, un groupe de « femmes blanches44 » – déploient donc un effort particulier pour intégrer ces militantes antiracistes à leur projet de coalition.
Antiracisme et féminisme : le mouvement des femmes tiers-mondistes
Les femmes invitées par le biais de ces efforts de réseautage appartiennent à un mouvement des femmes tiers-mondistes qui connaît alors ses premiers balbutiements aux États-Unis. Ce mouvement prend d’abord forme au sein du mouvement de libération afro-américain dans la deuxième moitié de la décennie. Avec la fondation du Black Panther Party en 1966, le mouvement élargit ses revendications : plusieurs groupes radicaux en viennent à prôner une révolution socialiste et anti-impérialiste comme seul moyen d’abolir l’oppression des communautés noires45. Pour se construire des modèles révolutionnaires, certaines têtes pensantes du bpp s’inspirent d’idoles communistes telles que le Cubain Fidel Castro, le Ghanéen Kwame Nkrumah et le dirigeant chinois Mao Zedong. Le Vietnam occupe une place centrale dans cet imaginaire politique : la révolution vietnamienne, perçue comme un modèle de lutte contre l’impérialisme américain, suscite l’admiration au sein du mouvement de libération afro-américain. Une frange tiers-mondiste en vient ainsi à se définir comme un peuple colonisé à l’intérieur même du territoire états-unien46.
Inspirés par ces développements, de nouveaux mouvements de libération raciale voient le jour aux États-Unis. Par exemple, le mouvement chicano prend de l’ampleur dans les communautés mexicano-américaines : c’est en se mobilisant contre la guerre du Vietnam et en dénonçant la surreprésentation des hommes chicanos parmi les victimes américaines du conflit que les communautés se politisent. La mobilisation contre la guerre pose également des bases d’un mouvement pour une amélioration de la situation socio-économique des communautés mexicano-américaines et une reconnaissance de leur héritage culturel47. Le Vietnam occupe une place importante au sein de l’imaginaire politique de plusieurs militants et militantes : le conflit est fréquemment comparé à la conquête de l’Amérique par les Européens quelques siècles plus tôt48. Revendiquant Aztlán – territoire de la civilisation aztèque à l’époque précolombienne – comme territoire national, de nombreux militants chicanos et militantes chicanas célèbrent leur héritage métis et s’identifient à une personne colonisée.
En raison de cette identification aux luttes des damnés de la terre, de plus en plus de ces militants et militantes se joignent à des Afro-Américains et à d’autres militants de mouvements de libération, dont des Japonais-Américains et des Autochtones, pour fonder des coalitions de libération des peuples assujettis en Amérique du Nord. Ensemble, ces mouvements revendiquent leur appartenance à une gauche tiers-mondiste : ils s’identifient à un nationalisme révolutionnaire marxiste-léniniste ou maoïste et conçoivent leurs luttes pour la libération raciale aux États-Unis comme partie prenante des luttes de libération nationale socialistes menées par le tiers-monde49. Au Canada, ces discours inspirent les mouvements de libération autochtones. Marie Smallface-Marule, militante autochtone et internationaliste originaire de Káínai en Alberta, tisse ainsi des liens étroits avec les mouvements de libération panafricains et développe une perspective anticoloniale pour théoriser la situation des Autochtones au Canada50. Inspirée par ces analyses, la Fraternité des Indiens du Canada prônera, au courant des années 1970, une alliance globale des forces autochtones en lutte contre les États-nations coloniaux51.
En parallèle de ces développements, une conscience féministe prend forme dans ces mouvements. Au sein des Black Panthers, de nombreuses femmes forment des comités féminins en réaction au sexisme vécu dans le mouvement : elles mettent de l’avant la nécessité d’une libération des femmes qui devrait être partie intégrante d’une lutte socialiste pour la libération des noirs52. Des femmes chicanas forment également des collectifs distincts pour lutter contre les stéréotypes de genre au sein des mouvements chicanos mixtes53. Inspirées par les discours tiers-mondistes qui gagnent en popularité au sein de leurs réseaux, ces militantes revendiquent une identité de femmes du tiers-monde : elles définissent leur expérience comme le résultat de la confluence de l’oppression coloniale, patriarcale et capitaliste54. Au nom de cette expérience partagée de « triple oppression55 », elles cherchent à se solidariser avec les autres femmes racisées en Amérique du Nord en créant des collectifs multiraciaux. Ainsi, elles fondent la Third World Women Alliance (twwa) à New York, durant l’été 1970.
C’est ce groupe qui est approché par les organisatrices des conférences indochinoises56. Le jeune collectif accepte l’invitation et décide de profiter de l’occasion pour étendre les réseaux de solidarité des femmes du tiers-monde sur le continent nord-américain. Il lance un vaste effort de réseautage au sein de divers mouvements antiracistes afin de mettre sur pied deux délégations tiers-mondistes : l’une sur la côte ouest en vue de la conférence de Vancouver et l’autre sur la côte est pour la rencontre de Toronto. La twwa profite de l’occasion pour créer des liens avec des militantes du mouvement Young Lords Party, organisation luttant pour la libération des populations portoricaines, ainsi qu’avec des femmes du mouvement I Wor Kuen, collectif marxiste regroupant des Américains et des Américaines d’origine asiatique57. Ces efforts de mobilisation permettent de mettre sur pied deux délégations de trois cents femmes du tiers-monde canadiennes et états-uniennes en vue de chacune des conférences58.
Ces mouvements féministes tiers-mondistes souhaitent également se solidariser avec les femmes franco-québécoises. Alors que s’organisent les conférences indochinoises, le Québec est bouleversé par la crise d’Octobre : des cellules du Front de libération du Québec, revendiquant la décolonisation socialiste du Québec, kidnappent un dignitaire et un politicien et déclenchent ainsi une crise sociale et politique d’envergure. Le gouvernement Trudeau adopte la Loi sur les mesures de guerre; l’armée canadienne patrouille Montréal; et des centaines de personnes liées à la gauche montréalaise sont arrêtées. Sensibles à la rhétorique anticoloniale mise de l’avant par le flq59, de nombreux mouvements tiers-mondistes nord-américains perçoivent l’intervention de l’armée canadienne comme une matérialisation de la domination coloniale du peuple québécois. C’est pourquoi un collectif montréalais de féministes noires propose d’organiser une troisième conférence indochinoise à Montréal. Elles expliquent leur point de vue ainsi :
Montreal would focus world attention and world support on the liberation movement of the Québécois People, therein to strengthen international solidarity for and with the revolutionary struggle of French-speaking People of Québec, Canada60.
Les féministes tiers-mondistes sont particulièrement sympathiques à l’égard du Front de libération des femmes du Québec (flf). Ces féministes franco-québécoises s’inspirent des grands penseurs décoloniaux – principalement Albert Memmi et Frantz Fanon – dont les idées sont relayées dans la revue socialiste et indépendantiste québécoise Parti pris61. Mobilisée autour du slogan « Pas de libération des femmes sans libération du Québec! Pas de libération du Québec sans libération des femmes! », le flf articule ses luttes autour de trois dimensions de l’émancipation : la libération des femmes, la libération nationale par l’indépendance du Québec et la libération face au joug du capitalisme par le socialisme62. En raison de ses affinités idéologiques avec le mouvement féministe tiers-mondiste, le flf est d’abord enthousiaste au sujet du projet : durant l’automne 1970, plusieurs de ses membres se rendent à New York en compagnie de la militante afro-américaine Marlene Dixon. Elles y rencontrent les féministes tiers-mondistes pour discuter du projet de conférence. Pour officialiser leur solidarité avec ces mouvements de libération, les membres du flf participent à plusieurs manifestations en compagnie de militantes du Black Panthers63.
Les efforts pour créer des solidarités entre les militantes noires, chicanas, portoricaines, asiatiques et franco-québécoises en vue des conférences indochinoises contribuent donc à la consolidation d’un mouvement féministe tiers-mondiste qui émerge de divers mouvements de la gauche nationaliste. Inspirés par les théories anticoloniales, ces mouvements pensent leurs luttes de libération comme partie prenante d’un combat pour l’émancipation des peuples considérés comme colonisés à l’intérieur même du territoire nord-américain. L’organisation des conférences indochinoises fournit l’occasion de mettre en pratique cet idéal d’une solidarité entre les femmes dites colonisées d’Amérique du Nord : l’événement motive le déploiement d’un important effort de réseautage entre divers collectifs locaux de libération raciale ou nationale.
Pour organiser les conférences, ces délégations tiers-mondistes se joignent donc à un ensemble hétéroclite de collectifs liés au Mouvement de libération des femmes, majoritairement blanc et anglophone, ainsi qu’aux groupes pacifistes représentés par le groupe vdf et ses alliés. Malgré leur hétérogénéité, les divers groupes impliqués dans le projet ont un point commun : ils sont tous mus par l’urgence de s’opposer au conflit vietnamien, un enjeu au cœur de l’actualité et des préoccupations de leurs mouvements respectifs. Encouragées par l’État nord-vietnamien, par l’entremise des efforts de mobilisation des diplomates du peuple, les participantes sont de plus en plus convaincues que le meilleur moyen de se montrer solidaires envers les femmes vietnamiennes est de consolider, en Amérique du Nord, une opposition massive à l’Administration américaine.
Le projet suscite un tel enthousiasme que ses instigatrices sont dépassées. Celles-ci tentent d’établir un quota de participation pour assurer une représentation équitable des militantes de chaque ville tout en conservant un nombre raisonnable de participantes aux conférences64. Elles sont incapables de le faire respecter : un nombre grandissant d’initiatives locales et de collectifs se greffent aux réseaux de solidarité et revendiquent leur droit de participer au projet. Ces alliances se tissent de manière spontanée, hors de toute structure centralisée. Les conférences indochinoises servent ainsi de moteur au développement aussi bien informel que fulgurant, d’un large mouvement de solidarité féministe au sein d’une base militante qui ne cesse de s’élargir.
Sœurs en guerre : organiser les conférences indochinoises
À la fin de l’année 1970, le projet des conférences indochinoises, prévu pour le printemps suivant, est sur toutes les lèvres : du Front de libération du Québec au collectif Radicalesbians de San Francisco, du caucus tiers-mondiste de Los Angeles aux groupes d’épouses de déserteurs établis au Canada. Les militantes planifient l’événement lors des rencontres locales et débattent de ses orientations par le biais de pamphlets, de manifestes et de journaux clandestins qui circulent partout au Canada et aux États-Unis. Par leurs échanges, les militantes se questionnent sur la meilleure manière d’organiser l’événement, de définir ses objectifs et de faire sens de ce vaste effort de coalition. Un véritable espace de débat se construit ainsi au Canada et aux États-Unis pour réfléchir aux fondements d’une solidarité féministe.
C’est dans ce contexte qu’émergent divers discours sur la sororité. Tous se questionnent sur la nature de ce qui lie les militantes les unes aux autres : comment articuler les luttes spécifiques des divers collectifs? Comment générer une unité en dépit de l’hétérogénéité des groupes représentés? Surtout, comment construire des ponts entre les collectifs du mlf, majoritairement blancs et anglophones, et les féministes tiers-mondistes issues des mouvements antiracistes et anticoloniaux? Pour répondre à ces questions, trois grandes conceptions de la sororité émergent. La première est formulée par les organisatrices anti-impérialistes : leurs réflexions sur la sororité s’inspirent librement des idées marxistes de la nouvelle gauche tout en y incorporant une analyse féministe. La seconde, formulée par les féministes tiers-mondistes, s’inspire d’une perspective antiraciste et anticoloniale. Finalement, la troisième est élaborée par des féministes « autonomes » qui dénoncent les conceptions anti-impérialistes et anticoloniales et revendiquent la construction d’une sororité dans la lutte contre le patriarcat.
« All Struggling Against One Enemy » : sororité anti-impérialiste
La discussion est lancée par quatre collectifs chargés d’organiser les conférences : le groupe Bread and Roses, le Montreal Women’s Lib, le Toronto Women’s Lib et le dc Anti-imperialist Women’s Liberation Committee font circuler un pamphlet expliquant leurs intentions pour l’événement65. À leurs yeux, la conférence devrait avoir pour objectif de « build a continent-wide anti-imperialist women’s movement66 ». Ces efforts de mobilisation féministes sont pensés comme complémentaires à ceux de l’ensemble des mouvements révolutionnaires mixtes :
The movement of Women’s Liberation is part of a large force of social unrest among people who have begun to realize that the American dream of freedom and prosperity is a lie […] We in Women’s Liberation are for equal rights, but we do not want to be equal with men in a society where everyone is in chains. We do not want to be free to become a Nixon or a Rockefeller. We therefore understand that the only way women can achieve real liberation is to become part of the whole revolutionary struggle67.
Reprenant les idées marxisantes de la nouvelle gauche, les autrices considèrent que leur libération passe par la lutte internationale contre l’impérialisme américain et le système capitaliste.
Les autrices du pamphlet soulignent toutefois l’urgence d’incorporer une perspective féministe au sein de ce cadre d’analyse anticapitaliste. À leurs yeux, l’émancipation et l’autonomisation des femmes constituent une dimension essentielle de la lutte révolutionnaire. Le féminisme, en permettant aux femmes de se développer en tant que sujets politiques autonomes et libres de la domination masculine, est essentiel pour maximiser le potentiel révolutionnaire de cette frange de la population. Ces femmes interprètent leur propre parcours en ces termes :
Although we are part of the entire struggle against imperialism in the U.S, we have organized ourselves separately as women. When we worked in the Civil Rights movement and the Antiwar movement, the men were the leaders and the women typed and answered the phones. Since we have had our own movement we have been able to develop our own ideas and our own strengths, and we are better revolutionaries […] By discovering our own oppression and by understanding the causes of it we have become more committed to the entire fight68.
Selon les autrices du manifeste, c’est d’abord et avant tout pour changer leurs propres conditions d’existence que les peuples deviennent acteurs d’un changement révolutionnaire. C’est pourquoi elles insistent sur certaines conditions matérielles d’existence partagées par l’ensemble des femmes sous le capitalisme :
Women are oppressed in our society economically and psychologically. In North America, women do not have: 1-Day Care Centers; 2-Adequate Medical Centers; 3- Equal Pay: Equal access to jobs (women are only 7 of all doctors (sic); 4. Maternity benefits; 5. Equal education opportunities; 6. The right to free abortion on demand. Moreover, every day in the mass media we are fed an image of women as nothing more than a sexual object. Women are taught to compete with each other for men instead of seeing each other as commonly oppressed sisters69.
Ainsi, toutes les Canadiennes et toutes les États-Uniennes sont victimes d’un système capitaliste qui marginalise systématiquement les femmes. Pour les féministes blanches qui rédigent le manifeste, cette expérience d’oppression fait d’elles des alliées naturelles des mouvements de libération anti-impérialistes. C’est sur la base de cette appartenance à une lutte commune que les autrices du manifeste souhaitent s’appuyer pour développer une solidarité avec leurs sœurs issues des mouvements antiracistes : « We want to stress the importance of the struggle of the colored people in the U.S. and the struggle of other nations against imperialism […] As white Americans we have a different kind of oppression, but we are all struggling against one enemy70. » C’est en développant leur conscience de ce lien que les femmes blanches et les femmes racisées pourront, selon les autrices du manifeste, s’unir et constituer une force massive d’opposition à l’impérialisme.
C’est ce qu’elles souhaitent faire dans le cadre des conférences indochinoises. Les autrices du manifeste proposent à tous les collectifs impliqués dans l’organisation de l’événement de rédiger un texte qui s’intitulera Proclamation of Birth of the New American Woman71. Dans le cadre de ce projet, elles invitent les militantes en lutte contre le sexisme ou le racisme à présenter leurs activités et à tenter de réfléchir à la manière dont ces différents combats font partie d’une même lutte contre l’oppression capitaliste-impérialiste : « We need to find more ways to understand the inter-relatedness of our lives and movements72. » C’est, selon elles, en s’unissant pour réfléchir aux liens entre leurs réalités et leurs luttes respectives que les femmes développeront « a new feeling of solidarity and sisterhood73 » et pourront jeter les bases d’un mouvement plus unifié et cohérent politiquement. Elles suggèrent que la proclamation des femmes soit signée par toutes les participantes et remise à la délégation indochinoise en guise de démonstration de solidarité : en constituant une force révolutionnaire massive et unifiée, le mouvement féministe nord-américain pourra se positionner comme un allié important de la révolution vietnamienne et, plus largement, de la lutte globale contre l’impérialisme.
« Equal but Separate Conferences » : sororité et libération des colonisées de l’intérieur
Le manifeste des féministes anti-impérialistes suscite de nombreuses réactions au sein du mouvement féministe tiers-mondiste. Par exemple, le Third World Women’s Caucus, un regroupement formé sur la côte ouest des États-Unis en vue des conférences, répond par la diffusion de son propre manifeste. Les autrices y dénoncent la prétention des collectifs anti-impérialistes à se positionner comme les représentantes fédératrices du mouvement féministe. Le caucus tiers-mondiste voit dans cette attitude la manifestation d’une « mentalité petite-bourgeoise » : les féministes anti-impérialistes blanches s’imaginent être liées aux peuples colonisés en raison de leur oppression en tant que femmes, tout en faisant l’impasse sur les privilèges que leur confère leur blanchitude74.
Selon le caucus tiers-mondiste, les féministes anti-impérialistes se contentent de discours abstraits, empreints de « sentimentality, which is used to cover over differences75 », plutôt que d’attaquer de front la question du racisme. En minimisant l’importance des divisions raciales en Amérique du Nord, elles reproduisent des mécanismes racistes qui reconduisent l’exclusion et la marginalisation des femmes du tiers-monde. L’organisation même des conférences en témoigne : le Third World Women Caucus déplore que le projet soit né dans les réseaux d’amitiés informels dominés par les femmes blanches. Ces dernières auraient invité les femmes du tiers-monde nord-américaines à se rallier au projet, sans toutefois les impliquer dans la prise de décision. Les membres du caucus tiers-mondiste mentionnent que « the mailings which [they] received [...] never mentioned Third World leadership and participations in both national and international aspects of the movement76 ».
Doublant leur critique antiraciste d’une analyse de classe, elles expliquent que peu de femmes du tiers-monde risque de se présenter à l’événement : « [T]hey haven’t the money to lose by not working one or more days and to spend on child care and travel expenses77. » Les organisatrices blanches sont accusées d’être incapables de prendre en compte les besoins spécifiques des femmes pauvres et des femmes de couleur. Aux yeux du Third World Women Caucus, le projet d’une sororité anti-impérialiste demeure donc essentiellement rhétorique : puisqu’il ne s’accompagne d’aucun moyen concret d’abolir les frontières divisant les femmes blanches des femmes du tiers-monde, il ne peut déboucher sur la construction de solidarités tangibles.
Pour lutter contre les dynamiques racistes qui imprègnent le mouvement féministe, les autrices du manifeste revendiquent une plus grande autonomie au sein de la coalition. Elles proposent que deux journées de la conférence de Vancouver soient réservées aux femmes tiers-mondistes : « We feel that since we have been denied an equal participation with white groups, we can only ask for equal but separate conferences78. » Cette structure est dépeinte comme l’unique moyen d’échapper à la domination des femmes blanches et de travailler d’égal à égal sur le projet de conférence. Elles espèrent ainsi pouvoir établir leurs propres contacts avec les femmes vietnamiennes et construire un mouvement féministe tiers-mondiste plus unifié et plus efficace.
Le caucus tiers-mondiste ne rejette pas pour autant l’idéal d’une sororité avec les féministes blanches. Dans la conclusion de leur manifeste, les militantes expliquent la situation ainsi : « Again, we are presenting these criticisms because we want to build an authentic sisterhood and to build with the differences which divide us79. » C’est en abordant de front la question de leurs différences dans une perspective antiraciste que les féministes pourront développer des solidarités fécondes. C’est pourquoi les féministes tiers-mondistes préfèrent pour l’instant se concentrer sur la construction d’un mouvement antiraciste autonome, apte à contester efficacement les dynamiques racistes au sein des mouvements féministes nord-américains.
Mobilisant une rhétorique qui fait écho à celle du caucus tiers-mondiste, le flf publie une lettre ouverte dans laquelle il critique les féministes anti-impérialistes anglophones. Les autrices franco-québécoises dénoncent les organisatrices qui prétendent parler au nom de l’ensemble des féministes nord-américaines. Selon le flf, les discours mettant l’accent sur les intérêts partagés par toutes les femmes effacent la spécificité de l’oppression des Franco-Québécoises. Reprenant à leur compte les discours tiers-mondistes, elles écrivent ceci : « [N]ous sommes opprimées non seulement en tant que femmes, mais aussi en tant que Québécoises francophones, colonisées par les capitalistes anglo-américains80. » C’est pourquoi le collectif revendique l’annulation d’une troisième conférence prévue à Montréal. Le flf considère que, dans le contexte de la crise d’Octobre, ses militantes doivent prioriser la construction d’un mouvement fort de libération des Franco-Québécoises plutôt que concentrer leur énergie à organiser une conférence dont les orientations sont définies par des féministes anglophones :
Nous pensons personnellement que la meilleure façon de lutter avec vous et avec toutes les femmes du monde, c’est actuellement de consacrer toutes nos énergies à faire progresser la lutte de libération des Québécoises81.
À l’instar du caucus tiers-mondiste, le flf refuse d’être intégré à un vaste mouvement des femmes dans lequel les expériences spécifiques des « peuples colonisés » seraient reléguées au second plan.
Dans un même souffle, le flf prend néanmoins ses distances avec les mouvements tiers-mondistes anglophones. Il se dissocie notamment des féministes noires qui proposaient d’organiser une conférence à Montréal. Au sujet de Marlene Dixon, le collectif écrit : « Marlene est professeur à l’Université McGill (anglophone) […]. Elle ne peut donc en aucune façon parler en notre nom ni en celui d’aucune Québécoise82. » Alors que les militantes noires reconnaissent comme légitime l’analyse anticoloniale du flf, les féministes franco-québécoises refusent en retour de considérer les anglophones racisées comme partie prenante d’une même lutte. On voit ici à l’œuvre toutes les contradictions d’un discours nationaliste québécois qui s’approprie les idées tiers-mondistes mais qui, associant étroitement l’idée d’oppression nationale à la question linguistique, évacue sa dimension raciale et se désolidarise des mouvements de libération noirs83.
Malgré le désistement du flf, les critiques tiers-mondistes sont plutôt bien reçues par les féministes anti-impérialistes du mlf. Dans les semaines qui suivent la diffusion des documents, l’organisation des conférences s’adapte pour répondre à leurs revendications. La conférence de Montréal est annulée, et deux journées de la conférence de Vancouver sont désignées pour l’organisation de rencontres autonomes des féministes tiers-mondistes avec les femmes indochinoises. Quelques mesures sont également adoptées pour faciliter l’accessibilité des conférences. Dans le procès-verbal d’une rencontre d’organisation, il est rapporté ce qui suit : « Probably the most important emphasis was to begin changing the class and race nature of people who come to Women’s conferences, beginning with the [Indochinese] Conference84. » Les organisatrices planifient un travel pool continental pour lever des fonds qui seront par la suite distribués, en fonction des besoins, pour financer le voyage de certaines déléguées venant de communautés marginalisées.
De manière générale, la critique tiers-mondiste contribue à une redéfinition de la sororité au sein des mouvements anti-impérialistes. L’idée d’une sororité découlant naturellement d’une expérience analogue d’oppression se dissipe. Un nombre grandissant de féministes anti-impérialistes conçoivent la sororité comme un idéal ne pouvant être atteint que par la lutte contre les inégalités économiques et raciales divisant les femmes. Ainsi, deux féministes anti-impérialistes de Vancouver, à la suite d’échanges avec le caucus tiers-mondiste, affirment : « A genuine sisterhood has to be struggled for and cannot be universal while racism and class differences exist85. » Invoquant la nécessité de « build an authentic sisterhood », un collectif de féministes blanches de Los Angeles écrit pour sa part que la véritable sororité ne peut survenir que si les « white women are willing to struggle very hard against their racism and its manifestation in the planning86 ». De nombreuses militantes anti-impérialistes affirment être désormais convaincues : c’est en reconnaissant et en luttant contre leur privilège que les femmes blanches peuvent espérer développer une solidarité véritable avec les féministes tiers-mondistes.
« Sisters in Subjection » : féminisme autonome et Quatrième monde
Cette dernière conception ne fait toutefois pas l’unanimité. En réaction aux échanges entre les féministes anti-impérialistes et les féministes tiers-mondistes, une troisième tendance émerge. Les partisanes de cette troisième voie revendiquent leur appartenance à un mlf « autonome », qu’elles distinguent du mlf anti-impérialiste et du féminisme tiers-mondiste. En effet, les féministes autonomes prônent une plus grande indépendance vis-à-vis de la nouvelle gauche et des mouvements de libération « dominés par les hommes87 ». Elles se font connaître par le biais du manifeste intitulé Fourth World Manifesto, un document rédigé par un collectif de féministes blanches de Détroit. Ce manifeste est une réponse directe aux textes rédigés par les deux autres tendances. Ce collectif dénonce la manière dont ces groupes conçoivent le projet de conférence et insiste sur la nécessité d’utiliser l’événement pour consolider une sororité globale dans la lutte contre le patriarcat88.

Cette image est produite par les militantes féministes et vendue sous forme d’affiches et de cartes postales. Les fonds amassés sont versés dans le travel pool pour couvrir les coûts de déplacement des militantes nord-américaines ainsi que les frais de séjour au Canada des invitées indochinoises.
Vancouver Women’s Caucus Archives, Reappraisal of the Indochinese Women’s Conference – April 1971, consulté le 20 juin 2022, https://www.vancouverwomenscaucus.ca/key-issues/indo-chinese-womens-conference/.
Ce troisième groupe de femmes, par le biais du Fourth World Manifesto, critique d’abord durement les féministes anti-impérialistes et leurs efforts pour définir les objectifs des conférences indochinoises. Il leur est reproché d’instrumentaliser le féminisme pour inciter les femmes à lutter du point de vue de la gauche masculine. Les autrices de ce manifeste dénoncent le fait que « the anti-imperialist women, in a new refrain to an old song, are in essence asking women in the independent Women’s Movement to focus their energies on “anti-imperialism” as the male Left defines it89 ». Aux yeux des féministes autonomes, les organisatrices anti-impérialistes « cooptent » et « manipulent » le mlf pour le mettre au service des luttes « masculines », détournant ainsi les féministes de ce que devrait être leur combat prioritaire : la lutte contre le patriarcat.
Les autrices de ce manifeste s’attaquent également aux féministes tiers-mondistes. Elles accusent, dans ce document, ces dernières d’accorder une trop grande importance aux questions raciales et de générer de la division au sein du mouvement féministe. Elles dénoncent tout particulièrement la tendance des féministes tiers-mondistes à insister sur la question des « privilèges » des femmes blanches. Les féministes autonomes craignent que de tels discours aliènent ces dernières. Identifiées à une classe dominante, celles-ci risquent d’être incapables de développer une conscience de leur propre oppression et de leur appartenance à la « caste des femmes ». Les autrices du manifeste expliquent :
As the Female Liberation Movement must cut across all (male imposed) class, race and national lines, any false identification of women with privileges that are really male (such as whiteness) […] will destroy the basis of communication which we females share as a suppressed caste and will divide us up as enemies where we should be friends and equals90.
En insistant sur les différences raciales et sur le privilège d’être une femme blanche, les féministes tiers-mondistes risquent, aux dires des autrices du Fourth World Manifesto, d’amener les femmes à développer une fausse conscience de leur position dans la société et, par conséquent, de saper les bases d’une solidarité féministe anti-patriarcale.
Tout en critiquant sévèrement leurs consœurs, les autrices de ce manifeste puisent abondamment dans les théories tiers-mondistes pour développer leur propre réflexion sur l’assujettissement des femmes. La pensée de Franz Fanon est au cœur de leur conception des femmes en tant que sexe colonisé :
Fanon and the whole black liberation struggle have recently extended the dictionary definition of imperialism or colonialism to mean a group which is prevented from self-determination by another group – whether it has a national territory or not […] And woman – a sexual caste subordinated to the dominant ruling sex, man – is defined primarily by that relationship91.
Pour les autrices du manifeste, l’assujettissement des femmes par les hommes constitue le rapport social fondamental à l’échelle globale. Avant d’appartenir à une classe sociale, les femmes sont d’abord et avant tout définies par leur sexe : « A woman’s class is almost always determined by the man she is living with […] Class is therefore basically a distinction between males – while the female is defined by her sexual caste status92. » Les mouvements de décolonisation et les luttes pour l’émancipation raciale sont pour leur part qualifiés de combats opposant deux « sociétés dominées par les hommes ».
Qu’elles soient blanches ou noires, prolétaires ou bourgeoises, les femmes appartiennent toutes, selon les autrices du manifeste, à un quatrième monde : elles sont liées en tant que premier et principal groupe colonisé. En raison de ce statut et des rôles qui y sont associés, les femmes partagent selon elles une culture commune qui fait d’elles des « sisters in subjection93 ». C’est seulement en lisant avec leurs « yeux de femmes » et en écoutant avec leurs « oreilles de femmes 94» que les féministes pourront renouer avec cette sororité pensée comme naturelle et universelle, mais souillée par une fausse conscience de classe et de race. Selon les autrices du Fourth World Manifesto, les conférences indochinoises devraient être l’occasion de favoriser le développement de cette conscience d’une « caste de sexe » et de contribuer au développement d’un mouvement féministe centré sur la contestation du patriarcat. Cette lutte représente d’ailleurs, selon elles, le seul moyen d’être réellement solidaire avec les femmes vietnamiennes. Ces autrices écrivent : « Women who have nothing to say about running the country or fighting in the war will never end war except by attacking and ending male domination and the sex roles where men learn their war-mentality95. » À leurs yeux, l’opposition au conflit vietnamien doit donc s’orchestrer par le biais d’une lutte globale des femmes unies face au patriarcat.
Le Fourth World Manifesto circule abondamment au sein des réseaux féministes canadiens et états-uniens. Plusieurs collectifs s’en inspirent pour rédiger leurs propres manifestes au sujet des conférences96. Une analyse des périodiques féministes durant la décennie 1970 place d’ailleurs le document au deuxième rang des manifestes les plus cités dans la presse féministe de l’époque97. La conception particulière de la sororité mise de l’avant dans le manifeste sera particulièrement prisée au sein du féminisme radical98. S’appuyant sur une analyse matérialiste, les tenantes de ce courant considèrent les femmes comme une caste universellement opprimée par un patriarcat global. Ces discours féministes radicaux – qui accordent une primauté analytique à la question des rapports sociaux de sexe – sont généralement invoqués dans l’historiographie pour critiquer les conférences indochinoises et, plus largement, le projet d’une sororité féministe globale au tournant des années 197099.
Toutefois, l’étude des débats entourant l’événement permet de constater que ces discours sur la sororité ne sont pas aussi hégémoniques que ce que suggère l’historiographie. Ceux-ci cohabitent avec les réflexions tiers-mondistes et anti-impérialistes qui accordent une grande importance aux rapports d’exploitation liés au capitalisme et au racisme. C’est en interagissant avec ces tendances, en s’appropriant et en réinterprétant ces théories, que les féministes autonomes développent leur conception de la sororité face au patriarcat. Leur interprétation ne s’impose pas en tant que fondement consensuel de la solidarité féministe, mais demeure l’une des diverses conceptions qui coexistent et se confrontent dans le cadre des conférences indochinoises.
Les conférences de Vancouver et de Toronto s’ouvrent finalement au début du mois d’avril 1971. Dans chaque ville, l’événement réunit environ deux cents représentantes anti-impérialistes et autonomes du mlf, trois cents féministes tiers-mondistes ainsi qu’une centaine de membres du groupe vdf et de ses alliées pacifistes100. L’assemblée rencontre six femmes indochinoises représentant une coalition opposée au régime libéral de Saigon et à ses alliés états-uniens101. Durant les conférences, ces déléguées portent un message clair : l’objectif prioritaire du mouvement doit être d’accroître la pression sur Washington dans l’espoir d’obtenir le retrait complet et inconditionnel des troupes américaines du territoire vietnamien. Lorsqu’elles sont questionnées par les participantes au sujet des meilleurs moyens d’atteindre cet objectif, les déléguées indochinoises proposent d’encourager la résistance à la conscription, de soutenir les déserteurs et leur famille, ou encore d’organiser des grèves massives afin de déstabiliser la production militaire102.

Kay McPherson, militante du groupe pacifiste Voix des femmes, accueille les déléguées indochinoises ainsi qu’un de leurs interprètes.
Ann Roberts et Barabara Todd, « Murmurings After the Indochinese Conference », Pedestal: a Women’s Liberation Newspaper, 3, nº 5 (mai 1971), 10.
Le répertoire d’actions qu’elles mettent de l’avant fait écho à la stratégie de guerre populaire alors prôné par les forces communistes vietnamiennes. Inspirée par les méthodes maoïstes importées au Vietnam par des conseillers chinois, cette stratégie a pour objectif de mobiliser l’ensemble des forces humaines dans le conflit103. Les révolutionnaires misent sur une mobilisation de masse : la population est invitée à participer aux opérations de sabotage, de grève et surtout de conscientisation pour incorporer de nouveaux secteurs de la population à la lutte104. Faisant des femmes une cible prioritaire de cette mobilisation populaire, le Parti assigne à la population féminine une triple responsabilité : celle de remplacer les hommes aux champs, de former de futurs guerriers et de défendre militairement leur village105. C’est ce type de mobilisation de masse que les déléguées indochinoises souhaitent voir se déployer en Amérique. À leurs yeux, seule une vaste stratégie de résistance impliquant de larges pans de la société civile permettrait d’ébranler Washington.
En réaction à cet appel, plusieurs participantes soulignent les problèmes qui entravent, selon elles, le développement d’une opposition de masse face à l’Administration états-unienne. Soulignant les défis d’un mouvement divisé et préoccupé par une multitude d’enjeux qu’il peine à articuler, les militantes canadiennes et états-uniennes expliquent à leurs interlocutrices indochinoises :
There is disunity between the several kinds of anti-war groups, revolutionary groups, and oppressed groups (Third World peoples, unemployed, poor people, youth, women’s groups) who are struggling for survival or for the improvement of their conditions. We can’t find a basis for unity but we feel we should106.
En réponse à ces considérations, les déléguées indochinoises insistent sur le potentiel fédérateur de la question vietnamienne :
We understand that racism, poverty and unemployment existed in America before the war and will continue after. Yet the war has greatly increased these conflicts; much of the present nature of American suffering results from the war in Indochina. You can therefore combine the multi-issues in the single issue107.
Les diplomates du peuple indochinoises insistent : en priorisant cet enjeu, les féministes canadiennes et états-uniennes seraient en mesure de faire converger leurs intérêts divergents. Elles pourraient œuvrer de concert en vue d’un objectif servant les intérêts de tous et toutes, indépendamment des divisions du mouvement.
Pour convaincre l’assemblée, l’une des déléguées partage son expérience révolutionnaire. Elle explique que la stratégie de guerre populaire impose la formation d’alliances contre nature avec la bourgeoisie nationale. Reprenant la notion maoïste de révolution en deux étapes, Phan Minh Hien explique à l’assemblée qu’au Vietnam, une première étape de front commun s’impose pour résister à l’intervention états-unienne. C’est seulement après la victoire contre l’impérialisme que les forces de libération pourront mener à bien la seconde étape soit briser l’alliance avec la bourgeoisie pour compléter la révolution socialiste108.
Les déléguées indochinoises proposent d’importer en Amérique du Nord cette stratégie maoïste de coalition pragmatique contre l’impérialisme. Lorsqu’une participante canadienne soulève des doutes quant à la pertinence de s’allier avec des groupes jugées non-révolutionnaires et moins progressistes, l’une des déléguées vietnamiennes répond :
The main question is unity for the common goal – end the war. The more people the better. Divide the enemy – get them fighting among themselves. Exploit the utmost split in the ruling class. Isolate the Nixon administration. Work even with senators – any people – who are willing to end the war. You do not have to decrease your main objective because of their presence with you109.
En proposant à l’assemblée de calquer la stratégie de front commun anti-impérialiste, les déléguées incitent le mouvement à mettre de côté les conflits raciaux et les antagonismes de classe pour unir toute la population dans la lutte contre l’intervention états-unienne au Vietnam.
Poursuivant son exposé sur l’expérience vietnamienne, l’une des intervenantes insiste sur l’importance des unions des femmes dans la construction de telles coalitions :
Women have become aware that they were oppressed and that they had to fight, both for the freedom of their country and for their rights. Before 1951, no women’s organization existed, and various scattered activities were taking place all over. Our organization, the Women’s Union for National Salvation, was then formed out of the different parts of the struggle110.
Organisée en chapitres locaux, c’est l’Union des femmes vietnamiennes qui est chargée de mobiliser l’ensemble de la population féminine dans la guerre totale111. Selon les déléguées, la promesse d’équité hommes-femmes inhérente au projet socialiste peut servir de base pour rallier l’ensemble des femmes au sein d’une politique de front commun. Rappelant qu’Hô Chi Minh avait inscrit l’égalité des sexes dans la constitution de la République démocratique du Vietnam en 1946112, une déléguée nord-vietnamienne évoque :
The system of society (whether imperialism or socialism) determines whether or not women have equal rights […] After our independence was achieved in the North, we began socialist construction. Then came the real equality of men and women113.
Les déléguées sont catégoriques : puisque toutes les femmes ont intérêt à lutter pour la libération anti-impérialiste, puis socialiste, les alliances entre femmes constituent un excellent moyen de fédérer les différents secteurs d’une société au sein d’un mouvement de libération efficace. Leurs propos font encore une fois écho à la conception maoïste du front uni, conférant aux femmes un rôle clé dans le rapprochement des différents secteurs de la société par-delà les frontières sociales, économiques et culturelles.
Ces appels répétés à l’unité marquent profondément l’assemblée. Tous les bilans sur l’événement rapportent les propos des déléguées indochinoises avec enthousiasme et font de la recherche d’unité une thématique centrale de leur réflexion. Les rapports sont unanimes : il est urgent de continuer à développer des alliances pour répondre à l’appel de leurs sœurs indochinoises. Une féministe états-unienne conclut d’ailleurs : « The Vietnamese reiterated one overriding theme : «unify, unify, unify»114. » Des membres de la délégation tiers-mondiste de San Francisco expliquent pour leur part que l’expérience de la conférence leur a prouvé l’importance de construire des solidarités avec leurs sœurs noires, asiatiques, autochtones et blanches115. Elles expliquent œuvrer, depuis les conférences indochinoises, à la construction de coalitions politiques. Elles chapeauteront notamment une délégation à la Conferencia de Mujeres por La Raza à Huston dans le mois suivant les conférences indochinoises et continueront à organiser des rencontres régionales jusqu’en 1973116.
Affirmant que le genre constitue une composante identitaire fédératrice pour construire des solidarités, les rédactrices de nombreux bilans réitèrent la nécessité de déployer une politique de la sororité. Ainsi, des militantes chicanas concluent leur rapport avec optimisme : « Women can get together on an international scale for a worthwhile thing117. » Une militante d’un collectif féministe anti-impérialiste de Vancouver abonde dans le même sens. Dans son bilan sur l’événement, elle raconte s’être d’abord sentie découragée par les tensions entourant les conférences et par la fracture politique entre les tendances anti-impérialistes, tiers-mondistes et autonomes. Toutefois, elle considère finalement l’éclatement de ces conflits comme « the most healthy outcome of the conference118 ». À ses yeux, les conférences ont eu le mérite d’unir les femmes pour créer un espace de débats où leurs différentes conceptions de la libération ont pu s’entrechoquer, se confronter, et se nourrir les unes des autres. C’est ce qui fait selon elle la force d’une politique de sororité :
It is the isolating of struggles which leads to wrong ideas and strategy […] By linking our struggles, we can learn from each other, we can offer strength and insights to each other, and we can support each other’s struggles both politically and materially. That is what solidarity means119.
Aux yeux de plusieurs conférencières, les nombreux conflits ne marquent pas l’échec de leur projet. Ils sont au contraire perçus comme une composante centrale d’une politique de sororité qui vise moins à générer un sujet féministe unitaire qu’à permettre aux représentantes des divers mouvements sociaux d’échanger et de négocier la construction de coalitions à même leurs différences.
Conclusion
Dans son important ouvrage Rebels, Reds, Radicals: Rethinking Canada’s Left History, l’historien Ian McKay souligne l’importance de ce qu’il appelle les « événements matrices » ‒ les guerres, par exemple ‒ dans l’histoire de la gauche canadienne. Ces événements placent au cœur de l’actualité la violence de l’ordre social et ses conséquences humaines bouleversantes. Ils créent ainsi une onde de choc dans les mouvements sociaux :
When the system suddenly and strangely seems to generate anomalies and unprecedented injustices, the web of common sense and normality suddenly becomes visible. For radicals and leftists, such specific occasions call out for great moments of refusal. A person suddenly sees through the order’s appearance of permanence to its historical transience, through its politeness and orderliness to its underlying cruelty and violence, through its universality to its intransigent selectivity120.
Pour les féministes internationalistes canadiennes et états-uniennes, la guerre du Vietnam s’impose avec force comme l’un de ces événements matrices. Le choc du conflit et de sa violence spectaculaire bouleverse le mouvement et crée l’impératif d’attaquer de front le système impérialiste. Encouragées par les diplomates du peuple vietnamiennes et déterminées à soutenir leurs sœurs indochinoises dans leur combat pour la libération, les féministes canadiennes sentent l’urgence de mettre fin à l’intervention militaire des États-Unis en Asie du Sud-Est en organisant, en Amérique du Nord, une force d’opposition massive apte à obliger l’Administration Nixon à retirer ses troupes. Dans ce contexte, le débat porte principalement sur le meilleur moyen d’unir les forces du plus grand nombre de femmes canadiennes et états-uniennes. C’est ainsi qu’on espère pouvoir lutter sur le front intérieur contre l’insoutenable guerre impérialiste de l’Administration américaine.
Ces grands moments d’agitation, écrit Ian McKay, sont fréquemment caractérisés par une décentralisation des lieux de débats. De nouveaux horizons politiques sont imaginés à partir des échanges parfois chaotiques d’une base militante qui écrit et repense le monde de manière spontanée :
A sense of intolerable does not wait upon a party to give it a manifesto […] In such a time, the radical presses blaze with energy: pamphlets, position papers, manifestos, broadsheets, letters, declarations stream from them, answering each other, creating – as if out of thin air – a new political universe121.
Le cas des conférences indochinoises permet d’observer ce phénomène. Dans la foulée d’un bouillonnement féministe décentralisé, on observe une multiplication des collectifs locaux en lutte pour diverses formes de libération : celle des femmes, mais également celle des Noires, des Chicanas, ou encore des Québécoises. Les modes d’organisation non hiérarchisés deviennent la norme, et les liens de solidarité se brodent au gré des initiatives autonomes. Les débats se tiennent dans les pages de manifestes et de journaux informels; les stratégies du mouvement sont constamment débattues et redéfinies. Confrontant frénétiquement leurs idées, théories et pratiques militantes, les différentes franges du mouvement développent un lexique commun qui permet à toutes de repenser l’émancipation dans le vocabulaire de l’anti-impérialisme et de la sororité. Pour reprendre l’expression de McKay, c’est tout un « nouvel univers politique122 » – conflictuel, mais partagé – qui se tisse au fil des débats et des confrontations.
Au sein de ce nouvel univers, l’idéal de la sororité s’impose comme référence centrale. Sa popularisation reflète les impératifs politiques de l’époque : l’urgence du contexte international et la puissance des aspirations révolutionnaires qui déferlent sur le mouvement imposent des efforts de coordination intenses afin de se constituer rapidement en force politique fédérée et efficace. Le projet d’une sororité implique donc le développement d’une relation forte entre les féministes, relevant symboliquement du lien filial. Toutefois, ces aspirations communes à la solidarité se déploient sans attendre la formulation d’un projet politique consensuel et englobant. Parce qu’il se développe dans les réseaux d’un mouvement décentralisé, ce projet permet le déploiement simultané de diverses interprétations au sujet du lien unissant les féministes les unes aux autres. Ainsi, tout en incarnant les espoirs d’une plus grande cohésion du mouvement, l’idéal de la sororité demeure ambigu, débattu et sujet à des interprétations multiples. C’est finalement cette malléabilité qui explique la popularité de la sororité au tournant des années 1970 : elle sert de cadre de référence fédérateur, mais suffisamment souple pour permettre à diverses conceptions du féminisme de coexister, de s’entrechoquer et de se nourrir mutuellement. Elle permet ainsi de baliser un terrain à partir duquel une solidarité féministe pluraliste peut se former et se développer.
Vu sous cet angle, les conflits et les antagonismes qui marquent le développement de la sororité cessent d’apparaître comme autant de preuves de la faillite d’une tentative – naïve et perdue d’avance – de générer un sujet féministe unitaire et universel. L’historien, ne pourrait-il pas plutôt y voir la marque d’un mouvement qui se démocratise et se radicalise? Les tentatives de construire des coalitions horizontales et hétérogènes se heurtent à l’impossibilité de contenir l’ensemble des aspirations politiques portées par les diverses composantes du mouvement. Plutôt que d’interpréter l’omniprésence de ces tensions comme la marque d’un échec, nous proposons d’appréhender ces dernières comme parties intégrantes de la dynamique profonde de la formation de solidarités féministes dans le contexte de sociétés divisées par les antagonismes de genre, de race, de classe, ou par les inégalités découlant du colonialisme. Il devient ainsi possible d’écrire une histoire de la solidarité qui prend au sérieux les aspirations de celles qui ont cru en la nécessité de construire des féminismes pluralistes, débattus et solidaires.
Cette recherche a bénéficié du soutien financier du Fonds de recherche du Québec – Société et Culture (frqsc) et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (crsh).
1. La délégation est composée de femmes laotiennes ainsi que de femmes sud-vietnamiennes et nord-vietnamiennes. Le qualificatif « indochinoise » sera utilisé dans le cadre de cet article, puisqu’il s’agit du terme utilisé par les membres de la délégation pour se désigner elles-mêmes.
2. Sur les liens étroits qui unissent les mouvements de désertion et les groupes féministes au Canada et aux États-Unis, voir Heather Marie Stur, « Chapitre 5. Liberating Men and Women. Antiwar GIs Speak Out against the Warrior Myth » dans Beyond Combat: Women and Gender in the Vietnam War Era (Cambridge : Cambridge University Press, 2011), 183–214; Shannon Stettner, « “We Are Forced to Declare War”: Linkages between the 1970 Abortion Caravan and Women’s Anti-Vietnam War Activism », Histoire sociale/Social History, 46, nº 92 (2013), 423–441.
3. Judy Wu, « Rethinking Global Sisterhood. Peace Activism and Women’s Orientalism » dans Nancy Hewitt, dir., No Permanent Waves. Recasting Histories of U.S. Feminism (Nouveau-Brunswick : Rutgers University Press, 2010), 199.
4. Judy Wu, Radicals on the Road. Internationalism, Orientalism and Feminism during the Vietnam Era (New York : Cornell University Press, 2013), 219–243.
5. La question de la sexualité est analysée plus en profondeur dans Lynn Ly, « Beyond Refusal: Queer Transpacific Feminism During the Vietnam War », topia: Canadian Journal of Cultural Studies, 38 (2017), 145–54.
6. Candice Klein, « “They Didn’t Even Realize Canada Was a Different Country”: Canadian Left Nationalism at the 1971 Vancouver Indochinese Women’s Conference », Labour/Le Travail, 84 (2019), 251.
7. Parmi les textes classiques sur la question, voir notamment Adrienne Rich, « Notes Toward a Politics of Location » dans Blood, Bread and Poetry: Selected Prose (1979–1985) (Londres : Little Brown & Co., 1994), 210–231; bell hooks, « Sororité : la solidarité politique entre les femmes » dans De la marge au centre : théorie féministe (Paris : Cambourakis, 2017 [1984]), 119–153; Hazel Carby, « Femme blanche écoute! Le féminisme noir et les frontières de la sororité » dans Elsa Dorlin, dir., Black Feminism. Anthologie du féminisme africain-américain, 1975–2000 (Paris : L’Harmattan, 2007 [1982]), 87–112; Chandra T. Mohanty, « Under Western Eyes: Feminist Scholarship and Colonial Discourses », boundary, 12, nº 3 (1984), 339; Chandra Talpade Mohanty et Jacqui Alexander, Feminist Genealogies, Colonial Legacies, Democratic Futures (Londres et New-York : Routledge, 1997), xxix.
8. Nancy Forestell, « Mrs. Canada Goes Global: Canadian First Wave Feminism Revisited », Atlantis, 30, nº 1 (2005), 7–20; Chantal Maillé, « Réception de la théorie postcoloniale dans le féminisme québécois », Recherches féministes, 20, n° 2 (2007), 91–111; Allisa Trotz, « Going Global? Transnationality, Women/Gender Studies and Lessons from the Caribbean », Caribbean Review of Gender Studies, 1 (2007); Marlene Epp et Franca Iacovetta (dir.), Sisters or Strangers? Immigrant, Ethnic and Racialized Women in Canadian History (Toronto : University of Toronto Press, 2016).
9. Dans son texte classique sur la question, bell hooks elle-même précisait s’attaquer à une conception bien particulière de la sororité portée par des féministes « bourgeoises, blanches, réformistes ou radicales ». Elle souligne toutefois que « le fait d’abandonner la Sororité (sic) comme expression de la solidarité politique a pour conséquence d’affaiblir le mouvement féministe et de le faire régresser » et en appelle à renouer avec la « véritable valeur de la sororité ». Sa manière de poser le problème montre bien, qu’à ses yeux, la sororité n’a pas de signification universelle : il s’agit d’un projet versatile qui doit être au cœur des débats féministes. Cette nuance semble échapper à plusieurs lectrices qui reprennent la critique de hooks pour conclure à l’échec de la sororité tout en évacuant son caractère contesté et équivoque. À ce propos, voir hooks, Sororité, 119–120.
10. Leela Fernandes, Transnational Feminism in the United States: Knowledge, Ethics, and Power (New York : New York University Press, 2016), 168–189.
11. Je m’inscris ici dans la continuité des travaux de Judy Wu, qui a beaucoup insisté sur le rôle joué par les différentes unions des femmes vietnamiennes dans le développement d’une politique de sororité globale. Cette réflexion s’inspire également de plusieurs travaux qui ont traité du rôle clé joué par des féministes sud-africaines, asiatiques et arabes au sein des réseaux du féminisme international. Ces études rappellent que les militantes du Sud global ne font pas que subir passivement les politiques impérialistes des féministes blanches. Elles ont bien souvent formulé des projets internationalistes alternatifs principalement articulés autour de la lutte anti-impérialiste et anticapitaliste. Voir, par exemple, Rachel Sandwell, « The Travels of Florence Mophosho: The African National Congress and Left Internationalism, 1948–1985 », Journal of Women’s History, 30, nº 4 (2018), 84–108; Elisabeth Armstrong, « Before Bandung: The Anti-Imperialist Women’s Movement in Asia and the Women’s International Democratic Federation », Signs: Journal of Women in Culture and Society, 41, nº 2 (2015), 305–31; Vera Mackie, « From Hiroshima to Lausanne: The World Congress of Mothers and the Hahaoya Taikai in the 1950s », Women’s History Review, 25, nº 4 (2016), 671–95; Katherine McGregor, « The Cold War, Indonesian Women and the Global Anti-Imperialist Movement, 1945–1965 » dans Jadwiga E. Pieper Mooney et Fabio Lanza, dir., De-Centering Cold War History: Local and Global Change (Oxon : Routledge, 2012), 31–51; Laura Bier, « Feminism, Solidarity, and Identity in the Age of Bandung: Third World Women in the Egyptian Women’s Press » dans Christopher J. Lee, dir., Making a World after Empire: The Bandung Moment and its Political Afterlives (Athens : Ohio University Press, 2010) 143–72; Wu, Radicals on the Road.
12. Wu, Radicals on the Road, 231.
13. Marilyn Selma Sweet, Purls for Peace: The Voice of Women, Maternal Feminism, and the Knitting Project for Vietnamese Children, mémoire de maîtrise. Université d’Ottawa, 2007, 170; Gail Cuthbert Brandt, Naomi Black, Paula Bourne et Magda Fahrni, Canadian Women: A History (Toronto : Nelson, 2010), 520–522; Barbara Roberts, « Women’s Peace Activism in Canada » dans Beyond the Vote: Canadian Women and Politics (Toronto : University of Toronto Press, 1989), 276–286; Tarah Brookfield, « In the Name of Children: the Disarmament Movement » dans Cold War Comforts, Canadian Women, Child Safety, and Global Insecurity (Waterloo :Wilfrid Laurier University Press, 2012) 71–97; Christine Ball, The History of the Voice of Women/La Voix des femmes: The Early Years, thèse de doctorat. Université de Toronto, 1994; Frances Early, « “A Grandly Subversive Time”: The Halifax Branch of the Voice of Women in the 1960s » dans Judith Fingard et Janet Guildford, dir., Mothers of the Municipality: Women, Work, and Social Policy in Post-1945 Halifax (Toronto : University of Toronto Press, 2005), 254–255.
14. C’est notamment ce que suggère Amanda Ricci dans sa thèse de doctorat où elle propose une histoire d’un « long mouvement des femmes », s’étendant de 1950 à 1990. Amanda Ricci, There’s No Place Like Home: Feminist Communities, Social Citizenship and (Un)Belonging in Montreal’s Long Women’s Movement, 1952–1992, thèse de doctorat. Université McGill, 2015, 292. Cette idée d’un « long women’s movement » s’inspire de penseuses du féminisme noir qui proposent de remplacer la métaphore des vagues par celle de la rivière. Cette métaphore, qui met l’accent sur la continuité des mobilisations et sur les « généalogies féministes », permettrait de mieux rendre compte d’une longue et complexe lutte pour l’autonomie et l’égalité. À ce sujet, voir Kathleen A. Laughlin et al., « Is It Time to Jump Ship? Historians Rethink the Waves Metaphor », Feminist Formations, 22, no 1 (2010), 80.
15. Ian McKay, Rebels, Reds, Radicals (Toronto : Between The Lines, 2005), 202.
16. McKay, Rebels, 202.
17. C’est une critique que formule également Joan Sangster dans son article. À ce propos, voir Joan Sangster, « Radical Ruptures: Feminism, Labor, and the Left in the Long Sixties in Canada », American Review of Canadian Studies, 40, no 1 (2010), 11.
18. Stettner, « “We Are Forced to Declare War” »; Lara Campbell, « Women United Against the War: Gender Politics, Feminism and Vietnam Draft Resistance in Canada » dans Karen Dubinsky et al, dir., New World Coming: The Sixties and the Shaping of Global Consciousness (Toronto : Between the Lines, 2009), 339–348; Sean Mills, « Québécoises Debouttes! » dans Contester l’Empire : pensée postcoloniale et militantisme politique à Montréal (1963–1972) (Montréal : Hurtubise, 2011), 141–164; Marilyn Selma Sweet, Purls for Peace. Sur les liens entre le contexte de guerre froide et l’émergence d’une seconde vague féministe, voir également Marie Hammond-Callaghan, « Bridging and Breaching Cold War Divides: Transnational Peace Building, State Surveillance, and the Voice of Women » dans Michael Dawson, Lara Campbell, et Catherine Gidney, dir., Worth Fighting For: Canada’s Tradition of War Resistance from 1812 to the War on Terror (Toronto : Between the Lines, 2015), 135–145.
19. Christopher Goscha, Vietnam: A New History (New York : Basic Books, 2016), 308.
20. Goscha, Vietnam, 325–327.
21. Lien-Hang Nguyen, « Revolutionary Circuits: Toward Internationalizing America in the World », Diplomatic History, 39, nº 3 (2015), 415; Harish Mehta, ‘People’s Diplomacy’: The Diplomatic Front of North Vietnam during the War Against the United States, 1965–1972, thèse de doctorat. Université McMaster, 2009, 5.
22. Mehta, People’s Diplomacy, 40.
23. Fondée en 1930, l’Union des femmes vietnamiennes est une agence directement liée à l’État communiste. L’Union des femmes pour la libération nationale, la frange féminine du Front national de libération du Vietnam du Sud (fnl), reçoit également ses instructions d’Hanoï, mais jouit d’une plus grande indépendance en raison de la distance géographique et des contraintes liées à la guerre. Elle est également plus hétérogène sur le plan idéologique : l’Union des femmes pour la libération nationale est dominée par des communistes, mais comprend également des représentantes d’autres groupes inclus dans le front commun anti-impérialiste. Sandra C. Taylor, Vietnamese Women at War: Fighting for Ho Chi Minh and the Revolution (Lawrence : University Press of Kansas, 1999), 112.
24. Mehta, People’s Diplomacy, 57.
25. Bibliothèque et Archives Canada (ci-après bac), Fonds Thérèse Casgrain, R7906-0-6-F, vol. 5, dossier 5, Ha Giang à Kay Mac Pherson, 13 avril 1967.
26. Sweet, Purls for Peace, 49.
26. Brookfield, In the Name of Children, 71–97; Ball, The History of The Voice of Women; Early, A Grandly Subversive Time, 254–255; Sangster, Demanding Equality, 223–243.
27. Sandrine Labelle, As International as Diapers? Conflits et internationalisme féministe au Canada (1960–1971), mémoire de maîtrise. Université du Québec à Montréal, 2022. Ces liens entre les féministes occidentales et les organisations communistes vietnamiennes remontent au moins aux années 1940. On retrouve ainsi les traces de réseaux de solidarité entre l’organisation communiste, l’Union des femmes françaises, et les mouvements indépendantistes vietnamiens durant la guerre d’Indochine. Voir Michel Bodin, « L’engagement des femmes durant la guerre d’Indochine 1945–1954 », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 198 (2000), 137–49.
28. Kay Macpherson et Christine Donald, When in Doubt, do Both: the Times of my Life (Toronto : University of Toronto Press, 1994), 121.
29. Archives de la Bibliothèque publique juive, Fonds Léa Roback, F1243, vol. 4, dossier 39, Infolettre du groupe Voix des femmes, Vietnamese Women Visit to Canada, édition spéciale, juillet 1969.
30. Michael S. Foley, Confronting the War Machine (Chapel Hill : University of North Carolina Press, 2003), 6.
31. Simon Fraser University Archives (ci-après sfua), Women’s Movement Collection, F166, dossier 4, Ellin Heirst, Reflexions on the Meeting with Vietnamese Women in Canada in 1969, 1971.
32. Ann Hunter Popkin, Bread and Roses: an Early Moment in the Development of Socialist Feminism, thèse de doctorat. Université Brandeis, 1978.
33. sfua, Heirst, Reflexions on the Meeting with Vietnamese Women in Canada in 1969.
34. sfua Heirst, Reflexions on the Meeting with Vietnamese Women in Canada in 1969.
35. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 4, Origin of Canada Conference, s.d. Dans le cadre d’événements similaires, le groupe Voix des femmes bénéficie du soutien de philanthropes canadiens ainsi que d’organisations telles que la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (lifpl ou wilpf en anglais) et la Fédération démocratique internationale des femmes (fdif ou widf en anglais)) pour financer ses déplacements à l’étranger. Tout porte à croire que le financement du voyage à Budapest provient de sources de financement similaires, mais les archives ne permettent pas de confirmer cette information. Voir Labelle, As International as Diapers?, 64–77.
36. sfua, Heirst, Reflexions on the Meeting with Vietnamese Women in Canada in 1969.
37. Archives canadiennes du mouvement des femmes de l’Université́ d’Ottawa, Dossier Infolettre du groupe Montreal Women’s Liberation, nº 2, 1er juin 1970, 3.
38. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 4, Dossier Projected Conference in North America with Indochinese Women, novembre 1970.
39. Finn Enke, Finding the Movement: Sexuality, Contested Space, and Feminist Activism (Durham : Duke University Press, 2007), 3.
40. sfua, Projected Conference in North America with Indochinese Women, 3.
41. sfua, Projected Conference in North America with Indochinese Women, 5.
42. Mehta, People’s Diplomacy, 82.
43. sfua, Projected Conference in North America with Indochinese Women, 7.
44. sfua, Origin of Canada Conference, 6.
45. Jessica Frazier, Making connections in Viet Nam: U.S. Women’s Transnational Activism and the Meanings of Race, Gender, and Revolution, 1965–1975, thèse de doctorat. Université d’État de New York, 2013, 94.
46. David Austin, N***** Noirs, N***** Blancs. Race, sexe et politique dans les années 1960 à Montréal (Montréal : Lux Éditeur, 2015) 35, 140.
47. Lorena Oropeza, Raza Si! Guerra No! Chicano Protest and Patriotism During the Viet Nam War Era (Berkeley, University of California Press, 2005), 4; Dionne Espinoza, « La Raza en Canada: San Diego Chicana Activists, the Indochinese Women’s Conference of 1971 and Third World Womanism » dans Michael D. Aguirre, Rosie C. Bermudez, Maylei Blackwell, Marisela R. Chávez, Martha P. Cotera, María Eugenia Cotera et María Cotera, dir., Chicana Movidas: New Narratives of Activism and Feminism in the Movement Era (Austin : University of Texas Press, 2021), 272. Sur l’émergence de réseaux de solidarités entre vétérans racisés opposés à la guerre du Vietnam, voir Stur, Beyond Combat, 186.
48. Oropeza, Chicano Protest, 10.
49. Laura Pulido, Black, Brown, Yellow, and Left: Radical Activism in Los Angeles (Berkeley: University of California Press, 2007), 6.
50. Jonathan Crosse, « Marie Smallface Marule: An Indigenous Internationalist » dans Jill Campbell-Miller, Greg Donaghy et Stacey Barker, dir., Breaking Barriers, Shaping Worlds: Canadian Women and the Search for Global Order (Vancouver : ubc Press, 2021), 140–143.
51. George Manuel, The Fourth World: an Indian Reality (Minneapolis : University of Minnesota Press, 2019 [1974]), 11.
52. Kimberley Springer, Living for the Revolution: Black Feminist Organizations, 1968–1980 (Durham : Duke University Press, 2005), 45.
53. Oropeza, Chicano Protest, 11.
54. Wu, Radicals on the Road, 212.
55. Ashley D. Farmer, Remaking Black Power: How Black Women Transformed an Era (Chapel Hill : The University of North Carolina Press, 2018), 175.
56. sfua, Origin of Canada Conference.
57. Sue Collins, Maureen Hynes, Carolyn Egan et Nancy Reynolds, Toronto ‒ Indochinese Conference, Rise up! Collective (Toronto 2021), https://riseupfeministarchive.ca/collection-women-unite/toronto-indo-chinese-womens-conference-1971/.
58. Kathleen Gough Aberle, « An Indochinese Conference in Vancouver », Bulletin of Concerned Asian Scholars, 3, no 3 et 4 (1971), 2–29.
59. À ce sujet, voir Mills, Contester l’Empire, 185–225.
60. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 4, The Montreal International Collective, Dossier Memorandum to the Interim Work Committee, 19 décembre 1970.
61. Louise Toupin, Le salaire au travail ménager : chronique d’une lutte féministe internationale (1972–1977) (Saint-Laurent : Éditions du remue-ménage, 2014), 43.
62. Mills, Contester l’Empire, 157; Janine Marchessault, « The Women’s Liberation Front of Quebec », Public, 16 (1996), 40.
63. « Lettre à des féministes américaines » dans Louise Toupin et Véronique O’Leary, dir., Québécoises debouttes! Une anthologie de textes du Front de libération des femmes (1969–1971) et du Centre des femmes (1972–1975) (Montréal : Éditions du remue-ménage, 1982 [1970]), 79; Arianne Émond, « Québécoises Debouttes! », La vie en rose, nº 10 (mars 1983), 53.
64. Celles-ci craignent qu’une trop grande affluence de militantes états-uniennes aux frontières canadiennes n’éveille les soupçons et nuisent à la capacité de certaines d’entrer au pays. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 5, Dossier Vancouver Conference Committee, Letter to the Conference Participants, 1971.
65. Deux versions du pamphlet circulent : la première s’intitule Projected Conference in North America with Indochinese Women et la deuxième, Origin of Canada Conference.
66. sfua, Origin of Canada Conference, 1.
67. sfua, Origin of Canada Conference, 4.
68. sfua, Origin of Canada Conference, 4.
69. sfua, Origin of Canada Conference, 4.
70. sfua, Origin of Canada Conference, 4.
71. sfua, Origin of Canada Conference, 3.
72. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 4, dc wlm, Anti-Imperialist Collective, Thoughts about the Women’s Proclamation, 28 novembre 1970.
73. sfua, Origin of Canada Conference, 3.
74. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 3, Third World Position Paper, s.d. (vers février 1971).
75. Voir sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 3, Indochinese Conference (pour usage interne), 1971.
76. sfua, Third World Women’s Caucus, Third World Position Paper.
77. Voir sfua, Third World Women’s Caucus, Women’s Movement Collection, F166, dossier 5, Minutes of Portland, Oregon, Meeting, 6 février 1971.
78. Third World Women’s Caucus, Third World Position Paper.
79. Third World Women’s Caucus, Third World Position Paper.
80. « Lettre à des féministes américaines » dans Louise Toupin et Véronique O’Leary, dir., Québécoises debouttes!, 53.
81. « Lettre à des féministes américaines » dans Louise Toupin et Véronique O’Leary, dir, Québécoises debouttes!, 53. Ce changement de cap du flf s’explique en partie par un durcissement des conflits entre féministes francophones et féministes anglophones à Montréal au courant de l’année 1970. Voir à ce sujet Sean Mills, Contester l’Empire, 159–160.
82. « Lettre à des féministes américaines » dans Louise Toupin et Véronique O’Leary, dir, Québécoises debouttes!, 53.
83. Ces contradictions au sein du mouvement féministe franco-québécois – et plus largement, des nationalismes québécois – ont été abondamment discutées dans la littérature. Voir par exemple, Austin, N***** Noirs, N***** Blancs; Chantal Maillé, « Réception de la théorie postcoloniale dans le féminisme québécois », Recherches féministes, 20, no 2 (2008), 91–111; Corrie Scott, De Groulx à Laferrière : un parcours de la race dans la littérature québécoise (Montréal : XYZ éditeur, 2014); Ricci, There’s No Place Like Home, 115–160.
84. Cette citation provient d’un compte-rendu d’une rencontre qui s’est tenue à Portland en Oregon. Minutes of Portland, Oregon, Meeting.
85. Ann Roberts et Barabara Todd, « Murmurings After the Indochinese Conference », Pedestal: a Women’s Liberation Newspaper, 3, nº 5 (mai 1971) 6–11.
86. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 5, Dossier Conférences, Statement from a Member of the White Women in Los Angeles who are Working on the Indochinese Women’s Conference, 7 février 1971.
87. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 3, Dossier Barbara Burris et al., Fourth World Manifesto, décembre 1970, 2.
88. Burris et al., Fourth World Manifesto, 2.
89. Burris et al., Fourth World Manifesto, 11.
90. Burris et al., Fourth World Manifesto, 15.
91. Burris et al., Fourth World Manifesto, 17.
92. Burris et al., Fourth World Manifesto, 14.
93. Burris et al., Fourth World Manifesto, 14.
94. Burris et al., Fourth World Manifesto, 1.
95. Burris et al., Fourth World Manifesto, 10.
96. Par exemple, un collectif lesbien de San Francisco rédige le manifeste Statement from Radical Lesbian. Fortement influencée par la pensée des féministes de Détroit, la déclaration cite abondamment le Fourth World Manifesto. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 5, Statement by the Radical Lesbians of the Bay Area, 1971.
97. Michelle Moravec, « Network Analysis and Feminist Artists », Artl@s Bulletin, 6, nº 3 (2017), 77.
98. Différentes versions circuleront sous forme de pamphlets durant plusieurs années. Le manifeste sera par la suite publié dans plusieurs anthologies de textes portant sur le féminisme radical états-unien, ce qui témoigne de son important retentissement. Voir notamment Barbara A. Crow, dir., Radical Feminism: A Documentary Reader (New-York : nyu Press, 2000); Rosalyn Baxandall et Linda Gordon, dir., Dear Sisters: Dispatches from the Women’s Liberation Movement (New York : Basic Books, 2000).
99. Wu, Radicals on the Road, 219–243; Ly, Queer Transpacific Feminism; Klein, Left Nationalism; hooks, Sororité; Hazel, Femme blanche écoute!.
100. sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 3, Indochinese Conference (pour usage interne), 1971.
101. La délégation est composée de six femmes âgées entre 29 et 50 ans. Deux d’entre elles, membres de l’Union des femmes nord-vietnamiennes, représentent la République démocratique du Vietnam. Vo Thi The est professeure en littérature à l’Université de Hanoi, tandis que Nguyen Thi Xiem est médecin et vice-présidente de l’Union des femmes de Hanoi. Les deux déléguées sud-vietnamiennes représentent quant à elles l’Union des femmes pour la libération nationale. Phan Minh Hien est enseignante, tandis que Din Thi Huong se présente en tant que femme au foyer. La délégation est complétée par Khampheng Boupha et Khempet Pholsena, toutes deux enseignantes au primaire et représentantes du Comité central du Parti révolutionnaire populaire du Laos. Trois interprètes participent également à l’événement. bac, Fonds vow, R246-0-X-E, vol. 3, dossier 28, Voice of Women Visit Committee, Dossier Guests from Indochina, 1971; sfua, Women’s Movement Collection, F166, dossier 4, Voice of Women National Office, Dossier Communiqué de Presse, 29 mars 1971.
102. Le verbatim des allocutions des déléguées indochinoises en séance plénière ainsi qu’une synthèse des ateliers de discussions sont publiés dans Aberle, « An Indochinese Conference in Vancouver », 22.
103. François Guillemot, Des Vietnamiennes dans la guerre civile : l’autre moitié de la guerre : 1945–1975 (Paris : Les Indes savantes, 2014), 44.
104. Mary Ann Tétreault, « Women and Revolution in Vietnam » dans Kathleen Barry, dir., Vietnam’s Women in Transition (London : Palgrave Macmillan, 1996), 42.
105. Taylor, Vietnamese Women at War, 115.
106. Aberle, Indochinese Conference, 20.
107. Aberle, Indochinese Conference, 21.
108. Aberle, Indochinese Conference, 24.
109. Aberle, Indochinese Conference, 24.
110. Aberle, Indochinese Conference, 17.
111. Taylor, Vietnamese Women at War, 115.
112. Taylor, Vietnamese Women at War, 113.
113. Aberle, Indochinese Conference, 18.
114. Aberle, Indochinese Conference, 29.
115. « Chicanas Meet Indo-chinese », El Grito del Norte, 4, no 4-5 (juin 1971), K.
116. Espinoza, « La Raza en Canada », 274.
117. « Chicana Attend Vancouver Conference » dans Garcia Alma M., dir., Chicana Feminist Thought: The Basic Historical Writings (Londres : Taylor & Francis, 1997 [1971]), 151–152.
118. Vancouver Women’s Caucus Archives, Reappraisal of the Indochinese Women’s Conference – April 1971, consulté le 20 juin 2022, https://www.vancouverwomenscaucus.ca/key-issues/indo-chinese-womens-conference/.
119. Briemberg, Reappraisal of the Indochinese Women’s Conference.
120. McKay, Rebels, Reds, Radicals, 103.
121. McKay, Rebels, Reds, Radicals, 104–106.
122. McKay, Rebels, Reds, Radicals, 106.
How to cite:
Sandrine Labelle, « « We Can’t Find a Basis for Unity but We Feel We Should » : conflits et sororité autour des conférences indochinoises qui se sont tenues au Canada en 1971, » Labour/Le Travail 93 (Printemps 2024): 79–113, https://doi.org/10.52975/llt.2024v93.006.
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